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Pour ceux qui n’écoutent pas France Culture à 6 heures 45, nous conseillons d’écouter le billet économique du 22 mars de Marie Viennot “La fin du mutualisme, enjeu du conflit au Crédit Mutuel” http://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=4643f7a1-97f2-41d5-838f-1caa89cfe5d6« >dont la rediffusion est ici

Depuis plusieurs mois, le Crédit Mutuel est le théâtre d’une guerre fratricide entre les fédérations de l’Est et celles de Bretagne. Lutte de pouvoir mais aussi lutte pour la survie d’un modèle mutualiste qui est en passe de mourir pour de bon.

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Brest 24/01/2016: manifestation à l’appel de salariés du Crédit Mutuel Arkea CMA

• Crédits : Vincent Mouchel – Maxppp

Le 16 septembre 1911 à Landernau, un groupe d’agriculteurs créait l’Office Central des Oeuvres Mutuelles Agricoles du Finistère, une petite coopérative dont le but était de répondre à l’ensemble des problématiques de la vie rurale : production agricole, crédit, assurances sociales, allocations familiales. Tout à la fois embryon de banque et de sécurité sociale, cet office donnera naissance notamment au Crédit Mutuel de Bretagne.

Si je vous en parle aujourd’hui, c’est que depuis plusieurs mois, le Crédit Mutuel de Bretagne est en guerre contre le Crédit Mutuel d’Alsace, lui même créée en 1882, à Wantzenau près de Strasbourg pour venir en secours aux agriculteurs sans le sous. L’Alsace était alors sous domination allemande, et le mouvement mutualiste bancaire venait d’y voir le jour sous l’impulsion de Frédéric-Guillaume Raiffeisen, homme politique et économiste allemand.

L’ADN du Crédit Mutuel d’Alsace et du Crédit Mutuel de Bretagne est donc le même, et depuis les années 60, ils font partie du même ensemble, la Confédération Nationale du Crédit mutuel, l’organe central qui est la structure de tête.

Pourquoi cette guerre fratricide?

Il y a une rivalité historique entre l’Est et l’Ouest et un enjeu de pouvoir. La fédération centre est, controle la majeure partie des fédérations du crédit mutuel. Majoritaire, elle a donc réussi hier à imposer en assemblée générale son président comme président de la confédération, et des statuts plus centralisateurs.

Il y a aussi un problème de cannibalisme, si on peut dire. Le Crédit Mutuel des fédérations de l’Est, CM11-CIC, c’est le vrai nom, chasse les clients sur les terres de Bretagne via ses filiales type CIC, Monabanq, Cofidis, et le Crédit Mutuel Arkéa (qui regroupe les fédérations du Crédit Mutuel de Bretagne, du Sud-Ouest et du Massif central) ne veut donc pas se voir imposer des décisions qui peuvent le désavantager.

Mais ce qui se joue aussi dans ce combat, c’est la survie du modèle bancaire mutualiste.

Pour le moment encore, le Crédit Mutuel tête de pont reste une association, mais si le Crédit Mutuel de Bretagne n’avait pas résisté à coup de recours judiciaire, ce serait devenu une coopérative pour devenir ensuite sans doute une société anonyme, comme le Crédit Agricole, qui n’appartient plus à ses sociétaires mais à des actionnaires. Cependant depuis la crise grecque (à laquelle le Crédit Agricole était très exposé du fait de son expansion en Grèce) les caisses régionales fédérées sont les actionnaires majoritaires de la SA. Vous trouverez ici, une étude sur le cas du Crédit Agricole : Entre mutualisme et capitalisme : le modèle de gouvernance hybride du groupe Crédit Agricole.

Les banques mutuelles, des banques différentes?

Théoriquement, une banque mutualiste appartient à ses clients-sociétaires qui élisent son président lequel nomme un dirigeant, exécutif salarié. Quant tout se passait au niveau local, les sociétaires avaient un poids. Mais en 1984, les socialistes ont fait passer une loi bancaire (la fameuse car elle a eu beaucoup d’autres effets), qui a favorisé le modèle anglo-saxon de banque capitaliste, au détriment du modèle mutualiste allemand estime Philippe Naszily, universitaire et directeur de la revue La Revue des sciences de gestion. Selon lui, c’est à partir de là que le projet mutualiste a amorcé sa chute dans le domaine bancaire.

  • Les adaptations juridiques ont vu le jour, à partir de 1984, avec la désastreuse loi bancaire en France qui, en voulant assurer la sécurité de ce secteur, a banalisé de fait, la finalité de l’action de tous les établissements de crédit.

Aujourd’hui, les sociétaires des caisses locales votent pour des représentants qui eux même votent pour des représentants régionaux qui votent pour des représentants nationaux; ils ont de fait perdu le pouvoir et ce sont les dirigeants salariés qui l’exercent, comme les PDGs dans les sociétés côtées au CAC 40.

Leurs parcours sont d’ailleurs semblables. Nicolas Théry, qui vient d’être élu à la tête de Confédération nationale du Crédit Mutuel est un inspecteur des finances, ancien collaborateur de Pascal Lamy à la commission européenne. S’il s’aligne sur son prédécesseur, il pourrait gagner 900 000 euros par an (voir ici, un des articles de Michel Abhervé, professeur associé à l’université de Paris Est Marne la Vallée.

Côté pratiques, les banques mutualistes n’ont rien à envier aux banques côtés en bourse, en témoignent leurs errements lors de la crise financière (ici un article d’Alternatives Economiques sur ce sujet) et leur présence dans les paradis fiscaux, comme l’a démontré un récent rapport de diverses ONG, ici résumé dans un article du Monde.

Enfin la démocratie sociale est largement fictivent, seuls 3% des sociétaires votent. De toutes façons ils n’ont que le pouvoir de refuser les comptes, une bombe atomique qu’ils n’actionnent jamais. Ils pourraient poser des questions, mais comme le rapportent des chercheurs sociétaires dans un article intitulé: Les banques coopératives, du meilleur au pire.

  • La pratique d’Assemblées Générales de Caisses locales est souvent édifiante : une présentation très technique des résultats, une présentation très rapide des décisions qui ne peuvent qu’être adoptées unanimement, tellement elles représentent le bon sens et l’intérêt bien compris de tous et de chacun, précèdent le banquet, temps fort de la journée, et celui qui se risque à poser une question suscite les regards noirs des autres sociétaires, fort impatients que l’apéritif soit servi.

 

Que reste t-il du mutualisme?

Le Crédit Mutuel Arkéa n’échappe pas à ses évolutions négatives du mutualisme. Son patron, Jean-Pierre Denis, est lui aussi énarque, inspecteur des finances, secrétaire général adjoint de Jacques Chirac à la présidence de la République entre 1995 et 1998, il a aussi conseillé Jean-Marie Messier chez Vivendi. Son combat contre les ambitions centralisatrices de la Confédération n’aurait peut être pas été le même s’il avait été assuré d’en prendre lui la présidence.

Cependant, il reste une seule chose de l’esprit d’origine, c’est l’ancrage territorial. Un ancrage toujours en cours pour le Crédit Mutuel de Bretagne dont le siège est toujours à Relecq Kerhuon, près de Brest, et pas à la Défense. Avec 6000 emplois en Bretagne (sur 9500), le Crédit Mutuel Arkea est le troisième employeur de la région. La banque est connectée avec le tissu économique local, qui défend d’ailleurs son autonomie, qui a manifesté fin janvier pour « le maintien de l’emploi et des centres de décision en région ». Voir ce récent article des Echos: Les Bretons se mobilisent pour défendre Arkea. Dans une interview aux Echos ce matin, le nouveau patron de la Confédération, Nicolas Théry dit tendre la main à son rival de Bretagne. Il le dit aussi au micro de Lea Salamé sur France Inter.

Tel le village d’Astérix, la Bretagne ne s’avoue pas vaincue, mais elle n’a pas de potion magique. Le Crédit Mutuel Arkéa a voté contre le projet de réforme, adopté par 85,6%, et fait savoir qu’il « se réserve le droit de prendre toutes les mesures qu’il jugera utiles et nécessaires en vue de défendre ses intérêts ». La saga judiciaire n’est pas finie.

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