21 novembre 2019 Droit du travailévaluation annuelleévaluation individuelleentretien annuelevaluationinsuffisance professionnellelow performersmauvaisobjectifsRanking forcésous-évaluationSous-évaluéSous-évaluersous-notation

source: Eric Rocheblave, avocat

woman in black sleeveless top
Photo de Christina Morillo sur Pexels.com

L’insuffisance professionnelle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

S’il n’appartient pas au juge de substituer son appréciation des aptitudes professionnelles du salarié et de son adaptation à l’emploi à celle de l’employeur, l’insuffisance alléguée doit reposer sur des éléments concrets et non sur une appréciation purement subjective de l’employeur.

Elle ne peut justifier le licenciement que si elle perturbe la bonne marche de l’entreprise ou le fonctionnement d’un service.

Le licenciement fondé sur une telle cause ne sanctionne pas un comportement fautif du salarié et il n’a pas un caractère disciplinaire.

REPORT THIS AD

Cour d’appel, Agen, Chambre sociale, 21 Novembre 2017 – n° 16/00940

L’insuffisance professionnelle ne peut justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse que si elle est établie par des faits précis, objectifs et vérifiables.

Dans la relation de travail, le salarié s’engage à exécuter sa prestation avec sérieux et selon des critères quantitatifs et qualitatifs raisonnablement exigibles.

L’exécution défectueuse de cette prestation, reposant sur des éléments précis, objectifs et vérifiables, peut légitimer un licenciement pour insuffisance professionnelle si, d’une part, les objectifs fixés par l’employeur sont réalistes et si, d’autre part, les exigences posées par l’employeur sont conformes à la qualification du salarié et à l’activité pour laquelle celui-ci a été engagé.

Cour d’appel, Riom, 4e chambre civile, 29 Septembre 2015 – n° 14/02226

Le fait pour un salarié de ne pas accomplir de façon satisfaisante l’ensemble de ses attributions caractérise une insuffisance professionnelle de nature à justifier son licenciement.

Ainsi indépendamment de l’absence de fixation d’objectifs chiffrés dans le contrat de travail du salarié et de l’absence évaluation annuelle, c’est au regard du caractère satisfaisant ou non de l’accomplissement de ses attributions que doit être appréciée l’existence ou non d’une insuffisance professionnelle.

Cour d’appel, Paris, Pôle 6, chambre 8, 8 Février 2018 – n° 16/06354

Si l’employeur est juge des aptitudes professionnelles du salarié et si l’insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, elle doit être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables.

Cour d’appel, Angers, Chambre sociale, 19 Décembre 2017 – n° 15/01272

L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective durable d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé ; son appréciation relève du pouvoir de direction de l’employeur, mais doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Cour d’appel, Lyon, Chambre sociale C, 9 Juin 2017 – n° 15/06224

L’évaluation des aptitudes professionnelles des salariés

L’article L 1222-1 du Code du travail dispose :

« Le contrat de travail est exécuté de bonne foi. »

L’article L 1222-2 du Code du travail dispose :

« Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier ses aptitudes professionnelles.

Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’évaluation de ses aptitudes.

Le salarié est tenu de répondre de bonne foi à ces demandes d’informations. »

L’article L 1222-3 du Code du travail dispose :

« Les salariés doivent être expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à leur égard.

Les résultats obtenus sont confidentiels.

Les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie. »

L’article L 1222-4 du Code du travail dispose :

« Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. »

L’employeur est en droit d’évaluer le travail de ses salariés, en vertu de son pouvoir de direction et l’évaluation est même nécessaire afin que le salarié soit reconnu dans son travail et puisse évoluer et progresser dans la hiérarchie

Cour d’appel, Versailles, 6e chambre, 18 Février 2014 – n° 12/02937

L’employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d’évaluer le travail de ses salariés à partir de critères objectifs et transparents, sous réserve de ne pas mettre en œuvre un dispositif d’évaluation qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés.

La mise en place d’un système d’évaluation est nécessaire pour permettre à l’employeur de respecter d’une part son obligation de négociation triennale en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences conformément à l’article L 2242-15 du code du travail, de s’assurer de l’adaptation des salariés à leur poste de travail notamment par la proposition de formations conformément à l’article L 6321-1 du même code.

Cour d’appel, Versailles, 1re chambre, 1re section, 8 Septembre 2011 – n° 10/00567

L’évaluation se fondant sur des  «  ranking par quotas  » est illicite

La mise en œuvre d’un mode d’évaluation reposant sur la création de groupes affectés de quotas préétablis (« ranking par quotas ») que les évaluateurs sont tenus de respecter est illicite.

Cour de cassation, Chambre sociale, 27 Mars 2013 – n° 11-26.539

L’évaluation se fondant sur des critères comportementaux est illicite

La Cour d’appel de Toulouse a jugé :

« pour tendre à une plus grande objectivité dans l’évaluation, la société Airbus impose aux cadres responsables de fixer des objectifs répondant aux caractéristiques suivantes : « Spécifiques et contrôlables », « Mesurables », « Acceptés », « Réalistes et Ambitieux », « Temporels » (objectifs SMART)

que toutefois l’évaluateur ne doit pas se contenter de vérifier que l’objectif a été atteint, il doit aussi s’assurer que les moyens mis en oeuvre pour l’atteindre sont conformes aux valeurs de la société déclinées dans le document intitulé « TheAirbusWay » :

  • agir avec courage 
  • promouvoir l’innovation et livrer des produits fiables 
  • générer de la valeur pour le client 
  • favoriser le travail d’équipe et l’intégration au niveau mondial 
  • faire face à la réalité et être transparent 
  • développer mes talents et ceux des autres 

Attendu que l’évaluation du comportement constitue une part importante de l’évaluation globale comme en atteste le document intitulé « management guidelines » (pièce syndicats n°13) qui contient une « matrice résultats / comportement » classant notamment comme :

  • « low performer » (salarié peu performant) le cadre qui obtient d’excellents résultats au regard de ses objectifs mais dont l’évaluation des comportements est mauvaise et nécessite des améliorations 
  • « meeting expectations » (salarié qui répond aux attentes) le cadre dont les résultats sont partiellement atteints mais qui adhère fortement aux valeurs de la société » 
  • que l’abandon de l’expression « low performer » ou « low performance » à la demande des organisations syndicales (pièce Airbus n°36) n’a pas modifié la part des comportements dans l’évaluation globale.

Attendu que si pour apprécier les aptitudes professionnelles d’un cadre dont l’activité n’est pas toujours quantifiable (animation de projet, direction d’équipes,etc…) des critères reposant le comportement ne sont pas a priori illicites encore faut-il qu’ils soient exclusivement professionnels et suffisamment précis pour permettre au salarié de l’intégrer dans une activité concrète et à l’évaluateur de l’apprécier avec la plus grande objectivité possible.

Attendu que comme l’indique la société Airbus, les 6 catégories de valeurs et comportements ne doivent pas être appréciées à partir de leur titre mais du contenu qui leur a été donné dans différentes notes de service ;

qu’ainsi « Agir avec courage » recouvre :

  • Bâtir, comprendre, partager la vision à long terme de manière sensée et vérifier la cohérence des actions par rapport à la vision. 
  • Prendre des décisions justes et courageuses dans l’intérêt d’Airbus et assumer la pleine responsabilité de leurs conséquences 
  • Déployer / appliquer la politique et les objectifs SMART[Spécifiques & contrôlables, Mesurables, Acceptés, Réalistes et Ambitieux, Temporels] 

que « Promouvoir l’innovation et livrer de manière fiable » recouvre :

  • Prendre des engagements réalistes et assurer les livraisons aux clients internes et externes dans le respect des délais, des coûts et de la qualité 
  • Promouvoir en permanence le changement, l’innovation, l’éco-efficience et l’amélioration 
  • Etre orienté process et combattre en faveur de l’efficience Lean, de la normalisation et de l’excellence 

Attendu que cette déclinaison des différentes valeurs et comportements sous forme de propositions explicatives ne suffit pas à leur donner un contenu concret facilement transposable dans l’activité des cadres qui peut être très variable selon que le cadre est par exemple débutant membre d’une équipe ou expérimenté dirigeant une équipe, disposant d’une certaine autonomie ou fortement intégré dans une chaîne hiériarchique, en relation ou non avec la clientèle, affecté à un travail de recherche ou d’exécution, etc..)

que la première formulation « bâtir, comprendre, partager la vision à long terme de manière sensée et vérifier la cohérence des actions par rapport à la vision » suppose que le cadre soit en mesure de connaître la vision à long terme grâce à des informations complètes et facilement accessibles ;

qu’en outre lui demander de partager une vision à long terme peut sembler particulièrement exigeant surtout s’il n’est pas en mesure de comprendre tous les enjeux qui peuvent découler de la vision à long terme des dirigeants de l’entreprise ;

que tant l’appréciation du partage par le salarié de la vision à long terme que l’appréciation des « décisions justes et courageuses dans l’intérêt d’Airbus », nécessitent un jugement trop subjectif de l’évaluateur et une recherche qui peut s’avérer difficile sur ce que représente « la vision à long terme » ou « l’intérêt d’Airbus » ;

qu’en imposant aux cadres qui n’auraient pas pris des décisions « justes et courageuses dans l’intérêt d’Airbus » d’« assumer la pleine responsabilité de leurs conséquences » la société Airbus laisse entendre que l’évaluation pourrait avoir une finalité disciplinaire étrangère à la finalité de l’évaluation qui est l’appréciation des aptitudes professionnelles ;

que cette approche disciplinaire se retrouve dans un document destiné aux managers (pièce syndicats n°19) qui évoque notamment la situation des « low performers » : « La gestion des « performers » permet la compréhension, l’analyse, la résolution des problèmes qui empêchent l’employé(e) de se consacrer aux tâches dans lesquelles il excelle…Les mesures prises telles que la formation, le coaching, l’intensification du support apporté par le manager ou les collègues, le redéploiement, etc… ne peuvent être lancées que si les causes profondes du faible niveau de performance sont comprises. Dans les cas extrêmes, par exemple le refus d’un(e) employé(e) de s’améliorer, ou de graves problèmes comportementaux, il peut s’avérer nécessaire pour l’employé(e) de quitter Airbus… ».

Attendu que sans entrer dans le détail de chacun des comportements issus des valeurs de l’entreprise (« TheAirbusWay »), il apparaît que certains d’entre eux et notamment le premier (« agir avec courage ») dont la connotation morale rejaillit sur la sphère personnelle, sont trop imprécis pour établir une relation directe suffisante avec une activité professionnelle identifiable, nécessitent une appréciation trop subjective de la part de l’évaluateur et sont parfois éloignés de leur finalité consistant à mesurer les aptitudes professionnelles des salariés ;

que ces comportements ne peuvent donc pas constituer des critères pertinents de l’évaluation au sens de l’article L.1222-3 du code du travail et qu’en conséquence la procédure d’évaluation doit être suspendue. »

Cour d’appel, Toulouse, 4e chambre sociale, 1re section, 21 Septembre 2011 – n° 11/00604

Éric ROCHEBLAVE
Avocat au Barreau de Montpellier
Spécialiste en Droit du Travail et Droit de la Sécurité Sociale
http://www.rocheblave.com

Restons en contact

Inscrivez-vous pour recevoir notre actualité. Nous ne communiquerons votre e-mail à personne. Voir RGPD.