11 septembre 2019 – Laurent Mauduit
Si le projet de scission que veut organiser la banque est au point mort, le climat social est plus que jamais dégradé. Multipliant les initiatives antisyndicales, la direction veut contourner les représentants du personnel pour construire un réseau de volontaires à sa main, chargés d’identifier les situations de mal-être au travail.
On aurait pu penser qu’en cette rentrée la banque Arkéa allait enfin connaître un climat social un peu moins délétère qu’au cours des mois précédents. Car le projet hautement risqué de scission que caressait depuis longtemps le président de l’établissement, Jean-Pierre Denis, pour se désaffilier de la Caisse nationale du Crédit mutuel (CNCM), et qui inquiète tant les syndicats, est encalminé. Même si la direction de la banque joue des muscles et fait croire qu’elle va poursuivre sa périlleuse aventure, elle n’ose pas franchir le pas, face aux mises en garde et injonctions de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque de France ; et tout le monde a compris que le patron de la banque était sans doute fort en paroles mais beaucoup moins dans les actes. Un répit qui aurait donc pu au moins avoir pour effet de détendre des relations sociales très dégradées au sein de l’entreprise.
Et pourtant, non ! La direction des relations humaines de la banque vient de prendre une initiative qui inquiète vivement les élus du personnel et les syndicats. Elle a, en effet, annoncé aux salariés qu’elle avait l’intention de court-circuiter les représentants du personnel pour mettre à la place un réseau à sa main implanté dans toutes les unités de travail et supposé l’alerter sur le climat interne de l’entreprise.
Comme on le voit dans le document ci-joint, un appel à candidature a été lancé pour recruter « une soixantaine de collaborateurs volontaires » qui devront être « à l’écoute des collaborateurs pour évoquer des situations individuelles ou collectives en lien avec les risques professionnels (mal-être, harcèlement présumé…) pour qu’elles puissent être traitées et donner lieu à des mesures de prévention et de sensibilisation ».
Dans un document interne (on peut le consulter ici (pdf, 96.7 kB)), la direction des relations humaines détaille la mission du « relais bien-vivre au travail », en expliquant sans la moindre ambiguïté que ledit « relais » exerce son activité « sous la responsabilité de son responsable hiérarchique ». En clair, ce ne sont pas des représentants du personnel, disposant d’un statut protecteur, mais des agents de la direction.
Même si les documents internes ne le précisent pas, le but de la direction de la banque est donc de mettre sur pied un système qui contourne totalement les missions de défense des salariés qui étaient autrefois dévolues au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et qui sont désormais confiées aux Comités sociaux et économiques (CSE), fusions de toutes les instances représentatives du personnel découlant des ordonnances Travail-CSE qui doivent être mises en place dans toutes les entreprises au plus tard le 1er janvier 2020.
La direction de la banque cherche donc visiblement à mettre à profit ce bousculement législatif en mettant en place un réseau totalement à sa main. Les syndicats de la banque sont d’autant plus inquiets que dans le même temps l’instauration du CSE se passe mal. « Le gouvernement avait prévu un socle minimal pour laisser place à une négociation honnête et loyale, construite avec les organisations syndicales. Problème : la direction se borne à la loi et rejette la quasi-totalité des propositions formulées par les organisations syndicales, preuve du peu d’estime réelle qu’elle a pour ses salariés et leurs représentants », s’indigne ainsi un tract de l’intersyndicale (CFDT, CGT, CGC et Unsa) que l’on peut consulter ici (pdf, 226.0 kB).
Sous le couvert de l’anonymat, un dirigeant syndical est encore plus sévère : « J’y vois pour ma part, au travers de l’ampleur et des moyens qui seront consacrés, la mise en place d’un système de surveillance des salariés, à qui il ne sera sans doute pas facile de faire des confidences ou tout simplement de parler sincèrement. On peut déjà prédire que les remontées de ces “missionnaires” seront bonnes voire excellentes tant la pression de conformité sera forte. Il ne sera pas bon évidemment de se distinguer par une équipe démotivée en raison de la surcharge de travail pas plus que ne pourra être bien vue l’expression d’un mal-être dû à la pression d’un quelconque petit chef. Nous sommes pour notre part ahuris du lancement de cette initiative qui est avant tout une opération de communication interne. La DRH va se déconnecter de plus en plus de sa réalité sociale. Elle va encore un peu plus se rendre aveugle aux situations de travail compliquées voire dangereuses. »
L’intersyndicale a donc décidé d’écrire à la ministre du travail, Muriel Pénicaud, pour la saisir d’une situation sans doute sans équivalent dans une entreprise de cette taille (10 500 salariés, filiales comprises). Grâce à des sources parisiennes, Mediapart a eu connaissance de ce courrier que l’on peut consulter ici (pdf, 202.9 kB). Selon nos informations, le ministère a donné suite à cette lettre et un rendez-vous devrait être organisé dans les prochains jours.
Cette mise en place d’un réseau d’informateurs à la main de la direction prend d’autant plus de relief que la banque a multiplié les initiatives antisyndicales ces dernières années. Cette guerre menée contre les organisations syndicales et les représentants élus du personnel dans les différentes instances de la banque avait déjà pris une première forme, spectaculaire, avec une manifestation à Paris organisée par un collectif de salariés dont les ficelles étaient tirées en sous-main par la direction de la banque (lire ici). Les salariés avaient donc été conviés en 2018 à une manifestation patronale, tous frais payés, salaires compris, pour soutenir le projet aventureux de Jean-Pierre Denis.
Mais après cette première offensive contre les représentants élus du personnel, une deuxième s’est produite, peu après. Elle avait pris la forme d’un mail adressé par le même collectif de salariés, animé par des cadres dirigeants de la banque, dénonçant l’intersyndicale de la banque supposée être « cornaquée » par la CNCM, et « agitant des peurs » ; ce collectif mettait aussi en cause le « parti pris » de Syndex, le cabinet d’audit mandaté par le comité central d’entreprise pour examiner le projet de scission (lire là).
Dans la guerre contre la CNCM, la direction d’Arkéa a donc choisi de faire une trêve, à moins qu’elle n’ait rendu les armes sans le dire ; mais dans sa guerre contre les syndicats et les représentants du personnel, elle repart visiblement à l’offensive. Étrange banque qui semble ne savoir vivre que dans le conflit permanent…
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