4/9/2019
Fin janvier 2019, Finamatic, une plateforme en ligne créée en 2015 par Cédric Nicolas, Benjamin Dresner et Axel Dreyfus, qui identifiait les financements auxquels un entrepreneur ou une société étaient éligibles, est entrée en liquidation judiciaire. «Nous avons eu jusqu’à 300 clients en 2017», confie pourtant Cédric Nicolas, qui a depuis rebondi pour devenir CTO de Connecthings. Que s’est-il passé?
«Ne jamais s’appuyer sur un seul cheval»
Début 2018, l’entreprise a entamé des discussions pour une levée comprise entre 2 et 2,5 millions d’euros menée par Crédit mutuel Arkéa. Mais après huit mois de discussion, le tour est annulé à la suite du désistement de la banque, explique Cédric Nicolas. Une décision qui prend Finamatic de court et laisse la jeune pousse sans solution. Mais l’entrepreneur reconnaît que la start-up a commis des erreurs, comme celle de s’être concentrée uniquement sur cette opération alors qu’elle avait des propositions provenant d’autres investisseurs.
«Il ne faut jamais s’appuyer sur un seul cheval, même si ce dernier semble solide, tant que ce n’est pas signé». En effet, pour la start-up qui souhaitait opérer un rapprochement industriel lors de ce tour de table, Arkéa semblait être le partenaire idéal. «Il y avait une vraie synergie industrielle possible, c’est ce qui nous intéressait. C’est pour cela que l’on s’est concentré dessus», développe Cédric Nicolas. «Les banques ont un problème structurel sur le marché du financement des professionnels. Elles ont un coût d’acquisition élevé, et en ce qui concerne les petits entrepreneurs notamment, elles ont beaucoup de mal à les rentabiliser, d’autant plus qu’elles sont en concurrence avec des néo-banques comme Qonto ou encore Shine. Il y avait donc un interêt à présenter un service d’accompagnement et de recherche de financement qui soit générique, au-delà du seul financement bancaire. La technologie qu’on avait développé les intéressait beaucoup».
Pivot et cycle de vente trop long
Benjamin Dresner, l’un des associés qui a depuis lancé une autre structure, Reversim, dédiée à l’accompagnement des entreprises dans leur acquisition clients, reconnaît aussi cette erreur, couplée à d’autres comme le fait d’avoir «accéléré trop tôt». «Forcément, dans ce cas, beaucoup d’argent rentre mais il ressort aussi assez vite. De plus, nous avions effectué un pivot, comme de nombreuses start-up l’ont déjà fait avant nous. Mais dans notre cas, c’était avec un financement assez faible». Finamatic a été lancé avec un capital de 20 000 euros et avait levé 1,5 million d’euros depuis sa création en 2015.
À la suite de son pivot, la société doit faire face à des cycles de vente trop longs. Son business model fonctionne désormais en B2B2B, avec des grands comptes. Plus de six mois s’écoulent en moyenne pour chaque vente. «C’est quelque chose que je déconseille aux boîtes qui sont en levée de fonds et ont un burn rate existant», développe Benjamin Dresner. «Si vous avez beaucoup d’argent et que vous allez avoir des clients captifs pendant 10, 20 ans, là cela peut être envisageable».
«Nous avions quand même 15 salariés au moment du dépôt de bilan. Et nous comptabilisions environ 1 million d’euros de dettes, c’est-à-dire l’équivalent du chiffre d’affaires de 2017», explique Cédric Nicolas. Même si, selon lui, la situation n’était pas catastrophique car ces dettes étaient de plusieurs natures (BPI, sociales) et étalées sur différentes périodes. Mais personne, ni les associés ou les actionnaires existants, n’étaient en mesure de pouvoir les éponger.
À partir de quand faut-il rechercher une aide extérieure?
De cette aventure, Cédric Nicolas tire aussi un constat: «les entreprises sont très mal préparées à gérer une procédure collective», explique-t-il. Une observation que partage Numa Rengot, avocat associé au sein du cabinet Aston et responsable du département restructuring. «Beaucoup d’entreprises ne sont malheureusement pas accompagnées ou sont mal conseillées par des personnes dont ce n’est pas spécifiquement le métier. Ces dernières pensent pouvoir les aider mais en réalité ne connaissent pas l’envers du décor. Elles ne savent pas mettre en place les outils nécessaires, qu’ils soient juridiques ou financiers, à l’anticipation des difficultés», explique-t-il
C’est le cas de figure dans lequel s’est retrouvé Finamatic avant de finalement décider de s’entourer d’une spécialiste. «Nous avons essayé de procéder à un redressement judiciaire mais celui-ci n’a pas été accepté car il était insuffisamment financé. Nous avons alors décidé de nous faire accompagner par une avocate. Elle nous a appris des choses dont nous n’avions pas conscience», explique Cédric Nicolas. D’ailleurs, à partir de quel moment un entrepreneur devrait-il prendre la décision de s’entourer pour faire face à une fragilité financière?
«Cela dépend de l’origine des difficultés de l’entreprise», répond Numa Rengot. Mais il identifie tout de même plusieurs grands cas de figures qui doivent amener les dirigeants à contacter des spécialistes. Il cite par exemple les tensions de trésorerie significatives: « Par exemple quand le chef d’entreprise commence à se demander s’il va pouvoir payer les salaires en fin de mois». Il y a aussi le cas où l’entreprise compte encore peu de clients et que l’un d’eux accumule des retards de paiement. Une situation qui peut particulièrement concerner une start-up qui à ses débuts dépend économiquement d’un grand compte.
«Nous possédons des outils juridiques qui permettent d’être contraignants pour ces clients», rappelle Numa Rengot. Enfin, l’avocat cite le cas où l’entreprise fait face à la dégradation de sa cotation Banque de France. «Il faut la surveiller car beaucoup de choses en dépendent, les assurances-crédits, la solvabilité auprès des établissements bancaires… Lorsqu’elle est dégradée au regard des résultats de l’entreprise, il faut avoir le réflexe d’appeler un avocat spécialisé pour enclencher des discussions afin de restaurer cette cotation».
Des procédures confidentielles peu connues
Finamatic s’est en effet rendu compte qu’il existait des solutions qui auraient pu lui convenir. «Il existe plusieurs mécanismes plus ou moins secrets qui permettent de placer l’entreprise dans une procédure de sauvegarde, c’est-à-dire de négocier avec un mandataire ad hoc un étalement des dettes, etc. Et il est clair que les entreprises sont totalement sous-informées de cet état de fait». Mais dans le cas de Finamatic lorsque l’avocate arrive, il est trop tard. Il aurait fallu enclencher ces processus six mois plus tôt.
«Les procédures de conciliation et de mandat ad hoc sont couvertes par la confidentialité absolue. Il n’y a aucune publicité qui est faite sur Infogreffe ou autre», confirmeNuma Rengot. Ces deux procédures ont pour objectif d’anticiper et de traiter les difficultés que rencontrent une entreprise. La seule modalité pour pouvoir y accéder est que celle-ci ne soit pas déjà en cessation de paiement. Le type de procédure est ensuite adapté à ses propres enjeux.
Mais ne pas se rendre compte qu’il existe d’autres solutions avant d’entrer dans une procédure de sauvegarde, de redressement ou de se retrouver en liquidation est une situation à laquelle les start-up en particulier peuvent facilement se retrouver confronter selon Cédric Nicolas. «Le problème c’est qu’elles sont à la recherche de fonds et se concentrent dessus. Ce n’est pas évident pour elles de se dire qu’elles sont en train d’avoir des difficultés financières. Elles hésitent ainsi à lancer des procédures sans que personne ne le sache. Alors que dans bien des cas, cela pourrait les aider à faire le bridge, car finalement le problème est le délai d’obtention des fonds, alors que le projet reste viable». Preuve en est dans le cas de Finamatic, puisque l’entreprise a réussi à revendre sa technologie au cabinet de conseil en innovation et en performance GAC, qui par la même occasion a recruté trois anciens salariés.
Sauvegarde, redressement… : 3 conseils clés de l’avocat Numa Rengot:
Pour rappel, ni la sauvegarde ou le redressement ne sont des procédures confidentielles mais peuvent sauver l’entreprise en la protégeant de ses créanciers et en mettant en place un plan pour la sortir de sa situation. En revanche, pour avoir recours à la procédure de sauvegarde, la société en question ne doit pas être tombée en cessation de paiement. Sinon, elle doit passer par le redressement judiciaire.
- Bien faire attention au choix de la procédure. «Car toute la réussite du plan va aussi dépendre d’où l’entreprise part et avec quelle procédure», explique l’avocat.
- Bien choisir son administrateur judiciaire. Comme le rappelle Numa Rengot, depuis la loi Pacte, il est prévu dans le Code de commerce la possibilité pour l’entreprise de le choisir. «L’avocat assiste le dirigeant mais il n’y a pas que lui. L’administrateur compte également énormément dans ce type de procédure. Il faut en choisir un qui est approprié à la problématique de l’entreprise».
- Avoir un «trésor de guerre». Numa Rengot conseille de démarrer ce type de procédure avec des ressources financières à disponibilité car leur déclenchement peut susciter des réactions assez brutales de la part de certains partenaires. Par exemple, des fournisseurs peuvent décider de ne plus accorder de délais de paiement ou les banques se mettre à dénoncer des concours bancaires. S’il est sollicité assez en amont, un spécialiste peut « mettre en place les outils financiers et juridiques qui permettent à l’entreprise de préserver de la trésorerie», explique Numa Rengot.
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