Américains accidentels : une menace pour les banques en Europe, mais la Commission n’y peut rienSource: AFP
Vue des sièges des banques allemandes Deutsche Bank (à gauche) et Commerzbank (à droite en arrière-plan) à Francfort-sur-le-Main, dans l’ouest de l’Allemagne (photo d’illustration prise le 11 mars 2019).

Etre né aux Etats-Unis suffit à faire de vous non seulement un citoyen, mais aussi un contribuable étasunien. Un moyen de plus pour la justice des Etats-Unis d’infliger des amendes record aux banques européennes.

Ne soyez pas étonné si, lors d’un rendez-vous avec votre conseiller bancaire, ce dernier vous demande de certifier que vous n’êtes pas une US person. C’est devenu une mesure de sécurité économique banale depuis 2014 pour les banques et institutions financières françaises, et avant elles, européennes.

Le terme juridique «US person», repris sans traduction dans la plupart des documents bancaires français, désigne, en général, un large éventail de personnes morales ou physiques. Dans le cas particulier des banques, il désigne tout simplement un citoyen des Etats-Unis.

Les Etats-Unis pratiquent le droit du sol et accordent presque automatiquement la citoyenneté à toute personne naissant sur leur territoire. Mais comme ils ont en outre choisi la citoyenneté comme base de leur fiscalité, cette personne devient aussi un contribuable. Et cela peut lui coûter très cher, à elle et à la banque européenne où elle a ouvert un compte, si elle ne l’a pas mentionné et n’a pas fourni un numéro fiscal aux Etats-Unis, que bien souvent elle ignore.

En effet, Washington a adopté en 2010, au nom de la lutte contre l’évasion fiscale, le Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca), en vigueur depuis 2014 pour ce qui concerne la France. Il permet à son administration fiscale de recueillir automatiquement auprès des banques étrangères des informations sur leurs clients américains. En cas de refus, elles s’exposent à des sanctions à hauteur de 30% de leurs flux financiers avec les Etats-Unis.

Identifier tous ces clients américains – ou ayant la double nationalité – est devenu un défi pour les banques. Tenues de fournir le numéro d’identification fiscale américain de ces clients, les banques butent sur les absences de réponse et sur ce dossier désormais appelé des «Américains accidentels».

Plus que quelques mois avant la fin du moratoire

Mi-mars, une délégation de la Fédération européenne de banques, basée à Bruxelles et Francfort, s’est rendue à Washington pour demander aux autorités des Etats-Unis de prolonger ou de rendre définitif leur moratoire sur l’application du Facta, aux banques européennes, décidé en 2017 et qui arrive à échéance à la fin de cette année.

Selon la Fédération bancaire européenne (FBE), plus de 300 000 personnes sont concernées dans l’Union européenne. Depuis deux ans, nombre d’entre elles ferraillent, notamment au travers de l’Association des Américains accidentels (AAA) en France, pour que leur soit accordé un régime dérogatoire leur permettant d’être exonérés d’obligations fiscales américaines, voire de renoncer aisément à la nationalité américaine, une démarche aujourd’hui longue et coûteuse.

Pouvoir renoncer gratuitement à la citoyenneté étasunienne : un souhait du Parlement européen

En juillet 2018, le Parlement européen a adopté la résolution 2018/2646sur les effets néfastes de la loi des Etats-Unis relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (FATCA). Elle «invite les Etats membres à veiller à transposer pleinement et correctement la directive sur les comptes de paiement, […] et à garantir le droit pour tous les citoyens de l’Union d’avoir accès à un compte de paiement assorti de prestations de base indépendamment de leur nationalité. Ce dernier point entre en contradiction avec l’exigence de la justice américaine.

C’est pourquoi la résolution appelle aussi à garantir le respect droits fondamentaux de tous les citoyens, et en particulier des citoyens dits «Américains accidentels», que prévoit la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la convention européenne des droits de l’homme.

Enfin, elle demande au Conseil de «charger la Commission d’ouvrir des négociations avec les Etats-Unis en vue d’un accord FATCA UE–Etats-Unis […] et de permettre aux «Américains accidentels» de se défaire de leur citoyenneté américaine non souhaitée gratuitement, sans enregistrement de leurs données et sans sanctions.

Le Commission ne voit pas de raison d’intervenir

La Commission a répondu au Parlement en novembre ; pas en affirmant une détermination à agir auprès de la Justice des Etats-Unis, mais par une liste de motifs de ne pas précipiter les choses. Dans un document officiel elle fait en premier lieu observer que, «à l’exception d’un d’entre eux, tous les Etats membres de l’Union européenne ont conclu [des accords] avec les Etats-Unis pour la mise en œuvre de la FATCA».

Le Parlement ignorerait donc que les Etats membres se satisfont apparemment de cette situation ? Par ailleurs, la Commission fait remarquer que toute législation nationale «mettant en œuvre le régime de la FATCA doit être conforme à la législation de l’Union sur la protection des données». En conséquence de quoi «avant d’entreprendre toute nouvelle démarche, la Commission attendra que les autorités chargées de la protection des données procèdent à une évaluation de cette nature».

Au terme d’une exténuante liste de justifications pour ne rien faire, la Commission assène le coup de grâce à la résolution du Parlement de mai, en confiant qu’elle «n’a jusqu’à présent reçu aucun signal de la part du Conseil laissant penser que ce dernier pourrait envisager [de lui] attribuer un rôle formel de quelque nature que ce soit […] dans des discussions avec les Etats-Unis au sujet de la FATCA».

Les banques européennes face à un dilemme juridique

En attendant, les banques européennes sont à deux doigts de se trouver confrontées au dilemme suivant : respecter la législation européenne, ou se conformer à la réglementation américaine, ce qu’elles peuvent faire, tout simplement en clôturant le compte de leurs clients US persons.

Car, selon la Fédération bancaire européenne, pour éviter de «potentielles et énormes sanctions», les banques seront probablement obligées de rompre des contrats existants ce qui, pourrait mener à «l’exclusion financière» d’un nombre important de clients européens binationaux.

Or, Fabien Lehagre, président de l’Association des Américains accidentels (AAA) en France, cité par l’AFP, affirme que cette exclusion bancaire a déjà commencé depuis plusieurs années. Clôture ou refus d’ouverture de compte bancaire, pas d’accès à des produits de placements ou au crédit : la multiplication de ces situations pénalisantes a décidé l’AAA à porter plainte prochainement contre certains établissements bancaires pour discrimination.

En Europe, nous ne sommes pas bien organisés pour résister à la stratégie de conquête du monde financier des Américains

L’association, qui a déjà engagé de multiples initiatives, attend une décision du Conseil d’Etat auprès duquel elle déposé en octobre 2017 un recours pour s’opposer à l’application en France du Fatca, au motif que l’accord n’a pas de réciprocité avec les Etats-Unis et porte atteinte à la vie privée.

Dans le milieu bancaire, la mise en œuvre de Fatca laisse aussi un goût amer. «On s’est laissé imposer une nouvelle fois des choses très difficilement supportables par les Américains», estime auprès de l’AFP Bernard Pouy, président du Cercle de la régulation et de la supervision financière (CRSF), un club de réflexion bancaire.

«En Europe, nous ne sommes pas bien organisés pour résister à la stratégie de conquête du monde financier des Américains. Nous ne sommes pas suffisamment portés à la fois par nos régulateurs et nos représentants politiques qui devraient nous défendre», déplore-t-il.

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