Un vote

Vous êtes client du Crédit Mutuel, de la Banque Populaire, de la Caisse d’Epargne ou du Crédit Agricole ? Alors votre conseiller bancaire insiste peut-être pour que vous deveniez sociétaire… Quel pouvoir et quels avantages gagnerez-vous en échange ?

« Je suis sociétaire de ma banque depuis bientôt 2 ans… », témoigne Victoria. « Ils ne nous ont pas laissé le choix : quand on a signé notre crédit immobilier, c’était présenté comme non négociable. On a dû acheter 100 euros de parts sociales. Depuis ? J’ai reçu les invitations aux AG annuelles. C’est tout. Et notre compte parts sociales a été rémunéré de 98 centimes… »

Le forum cBanque fourmille d’anecdotes livrées par des sociétaires : un client qui achète des parts sociales pour bénéficier d’une remise sur les frais de tenue de compte, un autre qui se voit glisser un bulletin de souscription de parts sociales sans explications dans le dossier « prêt immobilier », une jeune cliente dont la conseillère remet le sujet du sociétariat au menu de chaque rendez-vous, etc. En revanche, peu de discussions sur les bénéfices de ce statut. En simplifiant, à la lecture de ces témoignages, on deviendrait sociétaire par accident ou par défaut puis… le sujet tomberait aux oubliettes. Alors, être sociétaire, à quoi ça sert ?

« Une banque qui appartient à ses clients… »

Le gendarme financier, l’AMF, le résume en une phrase : « Détenir des parts sociales, c’est devenir sociétaire de votre banque mutualiste et donc participer et orienter la stratégie de l’entreprise en votant lors des assemblées générales. » Les quatre grands réseaux communiquent d’ailleurs à l’envi sur le principe historique « un homme, une voix » dans leur documentation relative au sociétariat. Le Crédit Mutuel a même basé sa signature sur ce principe : « Une banque qui appartient à ses clients, ça change tout. »

« Notre rôle n’est pas d’être banquier »

« Notre rôle n’est pas d’être banquier », explique Jean-François Jouffray. Ce retraité de la fonction publique est président de la caisse locale Champs-de-Mars, à Paris, et vice-président de la fédération Ile-de-France. « Nous sommes là pour fixer la stratégie locale, contrôler l’activité de la caisse, en être ambassadeur à travers des événements locaux que l’on soutient, décider de l’orientation des investissements, etc. » La fonction de président de caisse locale est « totalement bénévole », insiste au passage Jean-François Jouffray, les indemnisations financières concernant les plus hauts élus des fédérations.

Devenir sociétaire : volonté des clients, ou contrainte ?

Les administrateurs des différents réseaux mutualistes, élus en assemblées générales par les sociétaires, sont logiquement prompts à vanter ce modèle. Qu’en pensent les sociétaires eux-mêmes ? Les témoignages recueillis ont un point commun : une relative indifférence, et ce même si ce système offre aux banques mutualistes une meilleure image que leurs concurrentes.

Devenir sociétaire à cause d’une « forte pression commerciale » ? « Intolérable ! »

Que pensent les associations de consommateurs du mutualisme bancaire ? S’investir dans sa banque, est-ce réellement utile ? La CLCV et l’UFC-Que Choisir reconnaissent ne pas avoir de position sur le sujet. Seule l’Afoc (Association FO consommateurs), par la voix du juriste Hervé Mondange, s’exprime sur l’intérêt de devenir sociétaire : « Pourquoi pas ? » Pas de contre-indication, donc, tout en soulignant que cela n’exonère pas ces établissements de possibles litiges avec leurs sociétaires, lequels restent avant tout « des clients ». Un bémol, d’importance : « Ce qui serait intolérable, ce serait qu’ils deviennent sociétaires à cause d’une trop forte pression commerciale ! »

De fait, historiquement, les statuts des banques coopératives prévoient que l’emprunt est réservé aux sociétaires. Un principe qui ne paraît pas intangible, du moins dans les discours des responsables mutualistes. « Notre volonté, c’est de développer le sociétariat d’adhésion », appuie ainsi Bertrand Schaefer, secrétaire fédéral de la Fédération nationale du Crédit Agricole (FNCA). « Si nous étions uniquement dans une recherche de nombre, nous pourrions avoir bien plus de sociétaires, mais cela n’a pas de sens. » Même écho du côté du Crédit Mutuel où le sociétariat est présenté comme une « préconisation » pour emprunter, et non une « obligation ».

Quels avantages pour les clients-sociétaires ?

Pour attirer les sociétaires, les banques leur réservent quelques avantages. L’accès à certains produits dédiés, comme les livrets sociétaires, dont la rémunération varie d’une caisse à une autre (jusqu’à 1,50% brut au Crédit Agricole Centre France). La rémunération des parts sociales s’approche, elle, parfois des 2% brut, grâce à la récente évolution de la formule de calcul du maximum légal.

« Des offres privilégiées et avantages sur des enseignes locales »

Chaque caisse régionale a la main sur les avantages dédiés aux sociétaires. Au niveau national, la Caisse d’Epargne met en avant son Club des sociétaires, lequel donne accès à « des offres privilégiées et avantages sur des enseignes locales ou présentes partout en France, dans différents domaines : sorties et loisirs, cinémas, sports, voyages, shopping, culture et patrimoine ». Le même type de club existe dans l’autre grand réseau de BPCE, la Banque Populaire. Et de façon très terre-à-terre, les AG annuelles sont présentées comme des événements parfois « festifs », avec un buffet, un spectacle ou un concert…

Un véritable pouvoir de décision ?

Au-delà des avantages matériels et financiers, à travers le principe « une personne, une voix », sur quelles décisions les clients-sociétaires peuvent-ils peser ? « En assemblée générale, les clients peuvent poser des questions précises », affirme le président de la Banque Populaire Grand Ouest (BPGO) Emmanuel Pouliquen. « Pour les cas particuliers, par exemple la question sur un conseiller qui est remplacé, on essaie de travailler en amont de l’AG. Mais c’est le moment le plus important de l’année. C’est là que sont élus les administrateurs. Or, le conseil d’administration challenge la direction générale de la banque : au niveau des statuts, l’organe central du groupe est une filiale des banques régionales. »

« Le directeur général nous rend des comptes »

Ancien chirurgien, le président de la BPGO Emmanuel Pouliquen estime que ce système de décision permet au réseau bancaire de coller aux préoccupations du terrain : « Je suis moi-même client-sociétaire. Le conseil d’administration, c’est un tour de table de gens qui ne sont pas banquiers : des chefs d’entreprise, des agriculteurs, des instituteurs, etc. » Quelles seront les décisions prises par le conseil d’administration d’un groupe régional comme BPGO ? « En période budgétaire, nous votons la réduction des frais généraux. Nous pouvons par exemple indiquer à la direction générale qu’une évolution du réseau ne va pas assez vite. Nous ne sommes pas l’exécutif de la banque mais un directeur général nous rend des comptes : il est important qu’il ait une cohésion de vues. » Ce cercle de décision stratégique, à l’échelle de la région ou du département selon l’enseigne, le client-sociétaire lambda n’y a pas accès. Mais il peut donc avoir un impact par délégation, en votant pour un administrateur, ou en se présentant candidat.

A un échelon plus local, Jean-François Jouffray, du Crédit Mutuel Ile-de-France, évoque l’existence de « réunions de clarté » permettant d’échanger sur des problématiques du quotidien de l’agence locale avec des chargés de clientèle. Autre exemple, dans l’actuel conflit des Crédits Mutuels (groupe Alliance fédérale face à Arkéa), ce sont les sociétaires qui auront la main dans le réseau Arkéa pour valider ou non définitivement le divorce.

Des sociétaires difficiles à mobiliser

Ce système se voulant démocratique a toutefois besoin de l’implication de ses sociétaires pour fonctionner. Or la mobilisation apparaît extrêmement disparate. Au Crédit Mutuel, on présente en exemple les AG d’« un millier de personnes » dans certaines caisses locales de la zone historique de l’Alliance fédérale, l’Alsace et le Grand Est. Mais, à Paris, pour de plus jeunes caisses, Jean-François Jouffray reconnaît sans ambiguïté la difficulté de mobiliser des sociétaires, à cause de leurs obligations familiales et professionnelles. A la Caisse d’Epargne, le taux moyen de participation aux AG est de 5,41%. Emmanuel Pouliquen, de la BPGO, reconnaît lui aussi qu’il est « de plus en plus difficile de mobiliser » : « On a institué le vote électronique, ce qui nous permet d’atteindre des taux de participation de 35% ou 40%. »

« Il n’y a pas d’enjeu en matière de capital social minimum à atteindre »

Au-delà de la vivacité démocratique, ou non, la question du recrutement de sociétaires est-elle vitale pour ces groupes bancaires ? Ont-ils besoin d’un nombre minimal de sociétaires, ou qu’un volume précis de parts sociales soit vendu ? Les responsables interrogés repoussent cette problématique en s’appuyant surtout sur le vivier existant : « Il n’y a pas d’enjeu en matière de capital social minimum à atteindre », répond Bertrand Schaefer, de la Fédération du Crédit Agricole, en mettant en avant une « détention moyenne » de parts sociales « proche de 700 euros » par détenteur, pour 10 millions de sociétaires en France. « L’objectif est d’avoir plus de sociétaires afin que le capital social ne soit pas trop concentré », précise tout de même le président de la BPGO Emmanuel Pouliquen. « Nous avons un tiers de sociétaires dans notre clientèle. L’idéal, c’est qu’ils le soient tous. »

 

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