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Jean-Pierre Denis, le président du Crédit Mutuel de Bretagne et de CM Arkéa, dévoile à La Tribune la suite du vote sur l’indépendance : le groupe breton va présenter à la Banque de France et la BCE son schéma de séparation dès la semaine prochaine. Il explique comment rester mutualiste et coopératif sans changer la loi.

LA TRIBUNE : Vous avez annoncé les résultats de la consultation organisée au sein des caisses locales du Crédit Mutuel Arkéa sur le principe de l’indépendance. Quelle valeur a ce vote jugé « invalide » par la Confédération nationale du Crédit Mutuel ?

Jean-Pierre Denis : Je voudrais d’abord insister sur un élément important, au-delà des chiffres qui sont des scores sans appel. La question posée aux près de 2.900 administrateurs était une alternative simple et claire : voulez-vous vous intégrer dans un groupe Crédit Mutuel centralisé ou en sortir en préservant l’autonomie du groupe Arkéa. Ce n’était pas l’indépendance ou la soumission. Il y avait deux options, dont l’une, l’indépendance, avait pour corollaire direct l’abandon de la marque Crédit Mutuel. Ce n’était pas une question anodine mais très engageante. Pour autant, les caisses locales ont répondu en faveur de l’indépendance à près de 95% des votantes, avec un taux de participation de 92%. Cela signifie que la question a été prise au sérieux et que les administrateurs avaient le sentiment d’un choix historique à faire, aux conséquences définitives.

S’agissant de la régularité du scrutin, j’observe que le vote s’est déroulé majoritairement à main levée dans le strict respect de nos statuts, approuvés par la Confédération nationale, et comme cela se fait habituellement dans n’importe quel conseil d’administration, pas seulement chez les banques mutualistes. J’ajoute que 20% des votes environ se sont déroulés à bulletin secret, il suffisait qu’un administrateur le demande pour que ce mode s’applique de droit. Le vote s’est opéré de manière totalement décentralisée, dans 307 caisses, dans une douzaine de départements. Il n’y a pas eu une seule contestation des votants rapportée dans les procès-verbaux, y compris chez ceux qui ont voté contre l’indépendance. Recevoir des leçons de mutualisme de la part d’un organe qui a interdit le vote dans la fédération du Massif Central m’apparaît comme une contradiction.

L’attitude de la Confédération nationale du Crédit Mutuel est celle d’un mauvais perdant. Je peux le comprendre puisqu’elle s’est beaucoup impliquée dans ce vote, intervenant par voie de presse ou sur le terrain, le directeur général ayant tenu des réunions d’information dans les trois fédérations. Quand la Confédération a compris que le vote lui serait défavorable, elle a décidé de contester le résultat par avance. Le vote a été organisé après plusieurs mois de débats contradictoires. Ce vote est fait que cela plaise ou non. Il acte le choix de l’indépendance. Il précède les choix techniques du schéma de séparation qui seront soumis aux administrateurs par la suite.

Quel schéma de séparation envisagez-vous ? Les sociétaires et les personnels auront-ils leur mot à dire ?

Nous allons présenter cette semaine et début mai un schéma de séparation bancaire, à l’issue d’un travail sérieux et approfondi de plusieurs mois, aux autorités de supervision, à la Banque de France (l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) et à la Banque centrale européenne. Nous le soumettrons pour avis à l’information-consultation du comité central d’entreprise d’Arkéa dans un délai de deux mois, qui peut éventuellement être prolongé à 4 mois. Je ne puis en dire plus aujourd’hui, c’est un travail qui doit se faire dans la confidentialité.

Ce schéma de séparation définitif sera ensuite soumis au conseil d’administration des caisses locales à l’automne et aux sociétaires dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire, par la suite.

Comment créer un groupe bancaire coopératif et mutualiste, quand le gouvernement ne souhaite pas modifier le cadre législatif et affirme qu’en cas de séparation CM Arkéa perdrait son statut d’établissement bancaire mutualiste ?

Nous avons étudié plusieurs schémas différents, dont celui de l’organe central qui n’avait pas la préférence des autorités françaises, de peur que l’on ouvre la boîte de Pandore. Nous n’aurons pas ce statut d’organe central, comme beaucoup d’autres banques coopératives européennes, aux Pays-Bas par exemple. Notre objectif est d’avoir un schéma respectant intégralement les principes fondateurs d’une banque coopérative et mutualiste, et qui soit de nature à être agréé par les autorités bancaires.

Qu’est-ce qui fait une banque coopérative et mutualiste ? Est-ce le fait d’avoir le statut d’organe central ou d’organisme central ? Non, ce sont des statuts juridiques, qui permettent aux autorités bancaires de définir un cadre de supervision prudentielle.

Une banque coopérative et mutualiste répond à quatre grandes caractéristiques. La première est la forme coopérative : concrètement, le capital de la société Arkéa est détenu exclusivement par les caisses locales. C’est un mode de détention du capital, selon le principe de la pyramide inversée. Il n’est évidemment pas question d’en changer. Quant aux rumeurs qu’ont fait courir la Confédération d’un projet de cotation et de l’entrée d’actionnaires privés, c’est une vaste plaisanterie, pour le dire gentiment. La deuxième caractéristique est le mode de gouvernance qui associe tous les coopérateurs, à tous les niveaux, des caisses locales et du groupe, reposant sur le principe d’une personne = une voix. Ce régime, nous le pratiquons et nous le retrouverons demain.

La troisième caractéristique est la solidarité financière, entre toutes les parties prenantes. Dans les années 1920, à la création, on appelait cela l’entraide. Nous apportons la protection à toutes les caisses de notre périmètre, par exemple si l’une rencontre des difficultés pour rémunérer ses parts sociales. En 2017, 25% des caisses de Bretagne ont bénéficié du mécanisme de péréquation, c’est encore plus dans le Massif central. C’est la solidarité mutualiste dans le sens où nous mutualisons les risques.

La quatrième caractéristique est un système de valeurs, une « raison d’être » comme dit Madame Nicole Notat dans son rapport [co-écrit avec Jean-Dominique Senard « Entreprise, objet d’intérêt collectif »]. Nous avons par exemple un rapport au temps différent que dans les banques cotées. C’est une philosophie : nous sommes des tenants du temps long. Dans le capital-investissement, Arkéa est la banque française qui de loin consacre la plus forte quote-part de ses fonds propres à cette activité: nous avons plus d’un milliard d’euros d’actifs sous gestion, soit 17% de nos fonds propres, contre 3% à 4% en moyenne chez les banques françaises.

Propos recueillis par Delphine Cuny 

La TRIBUNE

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