C’est une page inédite du mutualisme bancaire à la française qu’écrit le Crédit mutuel Arkéa en lançant, ce vendredi, le processus de consultation de ses 331 caisses locales sur son projet d’indépendance. « Un enjeu vital », selon Arkéa qui invoque le maintien de l’emploi et des centres de décision dans les territoires.
« Approuvez-vous le projet visant à engager toute action afin que le Crédit mutuel Arkéa devienne un groupe bancaire coopératif et mutualiste indépendant, entièrement distinct du reste du Crédit mutuel ? » C’est en ces termes que les 331 caisses locales du Crédit mutuel Arkéa sont appelées à se prononcer, à compter de ce vendredi, sur le processus de désarrimage de la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM), l’organe central du groupe bancaire.
Une démarche inédite dans le monde feutré du mutualisme bancaire, qui doit permettre au groupe Arkéa et ses 9.900 collaborateurs, dont 3.000 en Bretagne, de disposer d’une indépendance opérationnelle à l’horizon 2020. Les motivations du groupe sont connues. Son président Jean-Pierre Denis les martèle depuis des mois : l’indépendance est désormais la seule alternative, selon lui, pour échapper aux « dérives » centralisatrices de la Confédération nationale. Un processus qui conduirait à remettre en cause « nos centres de décision en région, les moyens et les équipes que nous mobilisons pour notre développement ».
Entre douze et 18 mois
Pour cela, Arkéa est prêt à renoncer à la marque commerciale « Crédit mutuel », pourtant marque bancaire préférée des Français (1) dans un pays où 65 % des comptes bancaires sont hébergés par des établissements mutualistes. C’est dire l’enjeu de ce vote qui débute aujourd’hui. Selon un dossier d’aide à la décision distribué à toutes les caisses locales, et que Le Télégramme s’est procuré, cette première phase ne sera toutefois pas déterminante. La décision définitive n’interviendrait qu’en septembre, à l’occasion d’un second vote de confirmation. Viendraient ensuite les travaux permettant d’organiser la séparation. Ils devraient s’étaler sur une durée de 12 à 18 mois.
Un dossier surveillé de près
Pour conforter ce scénario aux allures de Brexit bancaire, le Crédit mutuel Arkéa s’appuie sur ses excellents résultats, mais surtout sur son ratio de solvabilité -qui mesure la solidité financière des banques – parmi les meilleurs de la place. Selon ce même document, l’indépendance impacterait le résultat net de la banque à hauteur de 17 à 20 millions d’euros par an, jusqu’en 2020. Des chiffres issus de projections financières bâties sur le postulat d’une large adhésion des caisses locales au processus d’indépendance.
Mais que se passera-t-il en cas de vote partagé ? C’est la question que semblent se poser les autorités prudentielles (ACPR, BCE et Banque de France (2) qui surveillent de près ce dossier inédit au mode d’emploi en cours d’écriture.
D’autres interrogations se font plus précises : une fois indépendante, la banque pourra-t-elle se refinancer dans les mêmes conditions ? Pourra-t-elle disposer des mêmes ressources pour poursuivre sa politique de soutien aux Fintechs et à l’innovation dans les territoires ? Quel sera l’impact auprès des agences de notation Moody’s et Standard & Poor’s qui annoncent la publication de nouvelles analyses ? Quid des clients et sociétaires, dont les caisses voteraient pour un rattachement à la Confédération ?
Autant de réponses auxquelles la direction d’Arkéa répond point par point, en insistant sur ses résultats et en misant sur l’adhésion des caisses locales, véritable « socle » et « clé de réussite du projet ». Pourtant, ce qui ne fait aucun doute, c’est la défiance des autorités bancaires, qui, tout en prenant acte de la décision d’Arkéa, s’interrogent sur d’éventuelles répercussions sur la stabilité d’un secteur bancaire français marqué par le poids du mutualisme. C’est le propos de Christian Noyer, gouverneur honoraire de la Banque de France, qui dans un avis daté du 19 janvier, insiste également sur la crédibilité du modèle français au sein de l’union bancaire européenne.
Tensions en coulisses
À ce climat de défiance, plutôt confiné aux coulisses, se sont ajoutées des tensions qui éclatent, cette fois, au grand jour, notamment sur les réseaux sociaux, à l’approche d’une grande manifestation des salariés d’Arkéa prévue le 5 avril à Paris. Alors que les intersyndicales des filiales du groupe (Financo, Suravenir et Fortunéo) se sont prononcées pour l’indépendance, les syndicats CFDT banques et CFDT Bretagne ont dénoncé des pressions exercées sur les salariés pour participer au rassemblement parisien. Informations réfutées par le collectif Indépendance pour Arkéa qui condamne une instrumentalisation destinée à saboter un grand rassemblement organisé dans le même esprit que celui de Brest qui avait mobilisé 15.000 personnes, en janvier 2016. La bataille ne fait que commencer…
(1) Baromètre Posternak-Ifop de mars 2018. (2) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Banque centrale européenne.
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