Solennel, normé, standardisé, l’entretien d’évaluation apparaît de plus en plus en décalage avec le nouveau monde du travail. Il est urgent de repenser l’évaluation de la performance pour aboutir à un échange plus simple, plus fréquent, plus axé sur les points forts.
Obsolètes, contraignants, chronophages, coûteux… 2016 sonnerait-il le glas du solennel entretien annuel d’évaluation ? Instauré il y a une quinzaine d’années dans les entreprises, celui-ci a pourtant un objectif louable : définir un moment d’échange entre le manager et le collaborateur pour faire le point sur le travail accompli au cours de l’année, soulever les difficultés rencontrées et envisager les perspectives d’évolution professionnelle. Décrié au cours des derniers mois, l’entretien annuel d’évaluation semble désormais insuffisant, voire inadapté au nouveau monde du travail et à son rythme ; il n’est plus satisfaisant ni même efficace pour évaluer les collaborateurs et donc pour les faire évoluer, les former et les rétribuer en conséquence.
Dans sa forme actuelle, le seul entretien annuel, centré sur la performance individuelle passée, n’engendre ni engagement ni performance. Il est nécessaire de transformer de façon innovante et pragmatique notre revue de la performance individuelle et collective. Cette refonte est une clef pour renouveler le contrat de confiance mutuel entre collaborateur et manager.
L’entretien annuel d’évaluation a du plomb dans l’aile. Solennel, normé, standardisé, il apparaît de plus en plus en décalage avec le monde actuel, un monde en temps réel, interconnecté, instable, en permanente destruction créatrice. Dans l’entreprise, les cycles courts s’enchaînent, le rythme des missions s’intensifie, les fonctionnements par projet sont omniprésents et exigent instantanéité, flexibilité et fluidité. Comment fixer des objectifs sur l’année à venir quand on ne sait pas de quoi demain sera fait ? Orienté vers le bilan de l’année écoulée, l’entretien annuel ne reflète pas l’ensemble des efforts accomplis et rend complexe une évaluation sur la globalité du travail effectué. Car, si les souvenirs des derniers mois peuvent être précis, ceux du début d’année sont flous. Il est difficile, pour les deux parties, d’être précis et circonstancié sur les points positifs comme négatifs des premières missions. Par ailleurs, il est courant de constater que plus les reproches remontent dans le temps, moins ils sont factuels, documentés, et plus ils peuvent être source d’incompréhensions et de mal-être. Enfin, comment accélérer les trajectoires, reconnaître la surperformance ou, a contrario, traiter le risque de sous-performance en attendant la fin d’un cycle annuel ?
La dernière étude Deloitte dédiée à la génération du millénaire (« Millenial Survey ») indique que 66 % des moins de 35 ans à travers le monde sont prêts à quitter leur entreprise d’ici à 2020. Les raisons invoquées ? Un manque de reconnaissance de leurs compétences managériales pour 63 % d’entre eux, alors même que les perspectives d’évolution et la possibilité d’endosser un rôle d’encadrement sont déterminantes dans leur implication et leur engagement envers une firme. La génération Y est en quête de sens, de feed-back réguliers, tournée vers l’avenir. Pour évaluer, développer et fidéliser ces talents, il faut coller au plus près des aspirations des jeunes générations, qui insufflent une nouvelle façon de faire du business et requièrent un management plus à plat : moins d’étages hiérarchiques et plus de proximité.
Il est urgent de repenser l’évaluation de la performance pour aboutir à un échange plus simple, plus court et plus fréquent. Sa révision complète marque la fin de l’entretien classique annuel et ouvre l’opportunité d’entretiens qualitatifs réguliers, de management par les points forts pour permettre à chacun de se développer. Le succès de cette évaluation continue repose sur la capacité à définir des objectifs clairs et à proposer un feed-back direct, constructif, animé par une volonté forte de développement des talents. Chaque projet démarre puis se clôture par des entretiens, des « check in-check out » à chaud, menés par le manager direct, sur l’atteinte de ces objectifs. Les études sur la performance collective d’une équipe nous montrent l’importance de valoriser et d’exploiter les points forts de chaque membre, les complémentarités, et de ne pas se concentrer seulement sur la remédiation des points faibles individuels, comme ce fut souvent le cas.
Il est aussi important de prendre régulièrement le pouls du climat d’une équipe, par un questionnaire court et anonyme, afin d’en partager les résultats : progrès comme difficultés. A défaut de pouvoir toujours les traiter, l’échange constructif sur les difficultés vécues par une équipe est en soi un facteur d’engagement des collaborateurs et donc de rétention des talents.
Multiplier les rencontres permet de consacrer plus de temps à l’échange plutôt qu’à la formalisation des évaluations et de désacraliser le traditionnel entretien annuel, qui peut s’avérer générateur de stress tant pour le collaborateur que pour l’évaluateur. Cet échange transparent, direct, bilatéral et participatif est le socle d’une relation de confiance mutuelle. Cela ne doit pas empêcher un point plus approfondi, hors des contraintes du court terme, mais qui ne devient qu’une brique de la relation hiérarchique.
Sami Rahal
Sami Rahal est associé directeur des ressources humaines chez Deloitte.
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