Par Guillaume Bourdon (cofondateur de Quinten) – 16/08/2019

LE CERCLE – Bientôt « disruptée » la banque, comme l’ont été la distribution ou l’hôtellerie ? Pas si vite. La réglementation et la sécurité attachées à cette activité la protègent encore fortement. Les explications de Guillaume Bourdon, cofondateur de Quinten.

La conquête de la banque par les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ne serait plus qu’une question de temps. Récemment, « The Economist », l’hebdomadaire britannique de référence, titrait « La banque est enfin sur le point d’être disruptée ». Dans l’éditorial, la revue fondait sa certitude sur la généralisation des applications de paiement en Asie, et surtout sur les deux dernières offensives d’Apple et de Facebook dans le secteur. Le premier  a lancé une carte bancaire en partenariat avec Goldman Sachs. Et le second a annoncé, urbi et orbi,la création d’une monnaie virtuelle dont la valeur sera indexée sur plusieurs monnaies pour éviter les fluctuations.

Il est vrai que l’histoire récente de certains marchés pourrait donner du crédit à la thèse de l’annexion bancaire. Parmi les nombreux domaines récemment disruptés, la distribution est certainement celui où le mode opératoire utilisé inquiète le plus les experts de la banque.

Barrières réglementaires

Toutefois, aussi spectaculaires soient-elles, ces menées sont insuffisantes pour préjuger d’une prise de pouvoir des géants américains du web à moyen terme. Si aucun secteur n’est à l’abri d’une disruption, certains y étaient prédisposés. C’est le cas de l’hôtellerie et de la distribution, par exemple. Deux marchés dont le coeur de métier – mettre à disposition un logement pour une durée déterminée et vendre des produits majoritairement fabriqués par d’autres – est insuffisamment protégé.

Une situation aux antipodes de celle de la banque. Son coeur de métier unique – gérer le risque tout en finançant des projets contextualisés – est encadré par des barrières réglementaires si inexpugnables que la concurrence des Gafam ne porte que sur des services périphériques. Et quand bien même Bruxelles s’évertue à faciliter la concurrence, certaines digues sautent difficilement.

Il y a quelques mois, le « Wall Street Journal » publiait une tribune libre intitulée « Banks’True Currency : Trust ». Signée par l’ancien président d’US Bancorp, la sixième banque américaine, celle-ci définissait la confiance comme le véritable avantage stratégique de la banque. Un avantage dont les Gafam ne sont pas prêts à s’emparer. Empêtrées dans des scandales à répétition à la suite du vol ou du détournement des données personnelles de leurs utilisateurs, ils doivent désormais subir la fronde grandissante des opinions publiques : le « techlash ».

Guerre d’usure

Et puis, est-on vraiment certains de leurs intentions ? Sommes-nous sûrs que leur objectif soit réellement de mettre à genoux le secteur bancaire ? Si on s’en tient à certaines déclarations, on pourrait en douter. L’an dernier, Judson Althoff, un des cadres de Microsoft, soutenait que la stratégie du groupe consistait « à donner plus de pouvoirs aux clients des banques plutôt que de les concurrencer ». Une agitation du drapeau blanc surprenante mais pas insensée. En dépit de leur surface financière et de leur savoir-faire technologique, les Gafam ne se sont jamais opposés frontalement aux banques. Evidemment s’il y a un coup à jouer, ils ne s’en priveront pas, mais leur agenda semble tout autre. Au lieu d’entrer dans une rivalité qui s’apparenterait à une guerre d’usure, l’option privilégiée pourrait être celle du partenariat.

Trois des cinq Gafam – Google, Amazon et Microsoft – sont en pleine guerre sur leurs offres cloud respectives. S’en prendre aux banques reviendrait à se priver d’une clientèle potentielle. Au moment précis où ces établissements, en pleine phase de digitalisation, collectent des quantités de données gigantesques qu’il faudra stocker. Une façon pour les cinq fantastiques de l’économie digitale de s’assurer un marché sur leur propre coeur d’activité.

Toutefois, les banques seraient avisées d’y réfléchir à deux fois avant de signer ce pacte faustien. Certes, elles profiteraient d’infrastructures dernier cri, mais avec une contrepartie de taille : mettre leurs téraoctets de données entre les mains des Gafam, au risque d’une relation de confiance client éclaboussée. Evidemment, ces derniers jurent la bouche en cœur qu’ils n’y toucheront pas. Cependant, l’actualité récente nous autorise à en douter.

https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/les-gafam-dans-la-banque-et-si-on-arretait-de-crier-au-loup-1124574