Crédit mutuel : trois caisses mutines et un gros pataquès

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Le conflit opposant la banque à plusieurs de ses filiales régionales se durcit. «Libération» raconte les dessous d’une crise qui oblige Bercy à sortir de sa réserve.

Du jamais vu dans le monde bien comme il faut des banques, où l’on dépasse rarement le stade du chuchotement en cas de conflit. Depuis plusieurs années, le Crédit mutuel, cinquième réseau bancaire en France (81 000 salariés et 13,3 milliards de chiffre d’affaires) est confronté à son propre Brexit. Trois de ses filiales situées en Bretagne, dans le Sud-Ouest et le Massif central demandent à rompre les amarres avec la confédération nationale, qui regroupe l’ensemble des caisses du Crédit mutuel dans l’Hexagone.

Elles veulent vivre leur vie et se développer en toute indépendance, sans avoir à rendre de compte au siège. Les trois caisses entendent décider elles-mêmes des investissements à réaliser, comme le rachat de sociétés high-tech. A l’image de la cagnotte en ligne Leechi ou la banque en ligne Fortuneo. Jusqu’à présent, ces désirs d’autonomie s’exprimaient plutôt mezza-voce.

Coup pour coup

Depuis la semaine dernière, le conflit s’est sacrément durci, au point que le ministère de l’Economie, qui avait tout fait jusqu’à présent pour ne pas s’en mêler, est maintenant obligé de sortir de sa réserve. Bien décidé à en découdre avec sa tutelle, le Crédit mutuel de Bretagne, dénommé Arkéa, a carrément décidé de poursuivre devant la justice pénale sa maison mère, à travers son PDG, Nicolas Théry, son directeur général, Pascal Durand, et six autres dirigeants. Une audience a déjà eu lieu devant le tribunal correctionnel de Paris pour examiner la plainte et les choses sérieuses devraient commencer au mois de septembre, avec une nouvelle audience destinée à fixer le calendrier du futur procès.

Libération a eu accès à la «citation à comparaître devant le tribunal». Ce document confidentiel, qui énumère les griefs des Bretons contre le «pouvoir central», est particulièrement gratiné. Les sécessionnistes pointent successivement «la diffusion de fausses informations, la violation du secret professionnel et l’entente délictueuse». Des comportements pour lesquels l’addition prévue par le code pénal peut atteindre cinq ans de prison et une possible interdiction de gérer. Ce qui est plutôt fâcheux lorsqu’on est à la direction d’une banque.

Loin de se démonter, la direction centrale du Crédit mutuel a décidé de rendre coup pour coup en lançant une procédure disciplinaire contre les mutins d’Arkéa, et plus particulièrement les trois principaux dirigeants (dont le PDG Jean-Pierre Denis). L’objectif est de les destituer afin d’en faire un exemple et supprimer toute velléité d’indépendance. Seul hic, cette riposte est pour le moment inopérante. Saisi en référé, le conseil d’Etat vient de la suspendre. Il ne se prononcera sur le fond que dans plusieurs mois, sans doute bien après l’épicentre de la bagarre.

Renversement

Pour comprendre les raisons du durcissement de ce conflit, il faut remonter à cet été. Au début du mois de juillet, le Crédit mutuel réussit à retourner en sa faveur une des trois caisses régionales désireuse de conquérir son indépendance : celle du Massif central. Le directeur général est débarqué et un «loyaliste» est installé pour le remplacer.

Dès le lendemain de ce coup de théâtre, les dirigeants d’Arkéa, résolus à ne pas lâcher l’affaire, font passer au peigne fin les ordinateurs. Ils récupèrent ainsi plusieurs mails signés de la main du PDG, Nicolas Théry, qui suit l’opération de très près. Or selon la plainte déposée par la suite, le patron de la confédération nationale du Crédit mutuel aurait manqué à son obligation de neutralité en prenant part à ce renversement de pouvoir.

Le conflit grimpant crescendo, l’Etat a d’abord cherché à s’en préoccuper le moins possible, en confiant une mission sur le sujet à l’ancien gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, qui a rendu sa copie la semaine dernière. Un document mi-chèvre mi-chou, dans lequel il indique que la séparation ne serait certes pas une solution idéale mais pas non plus une issue impossible.

Devant ce monument de diplomatie, destiné à ne fâcher personne, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, a été obligé de sortir du bois, en faisant comprendre qu’il ne fallait pas compter sur l’Etat pour modifier la loi bancaire afin de permettre cette scission : «Qu’ils se débrouillent, indique son entourage. S’ils veulent se séparer, c’est leur affaire, la puissance publique refuse d’être instrumentalisée dans ce dossier.»

Contagion

Le gouvernement veut, en fait, éviter tout risque de contagion. Or au Crédit agricole, autre banque mutualiste, certaines régions, ont semble-t-il, elles aussi, des velléités d’indépendance. Elles n’ont pas digéré certaines décisions prises il y a quelques années par la direction centrale, comme l’acquisition de la banque grecque Emporiki, juste avant que le pays soit secoué par une crise financière sans précédent. L’affaire a coûté 8 milliards d’euros, en partie comblés par les caisses régionales, qui n’avaient pas pris part à la décision.

Pour ce qui est du Crédit mutuel et de sa filiale Arkéa, le point de non-retour semble atteint. Les dirigeants des deux bords ne se parlent plus depuis des mois et aucune rencontre, même discrète, n’est prévue. Cent cinquante élus et chefs d’entreprise bretons viennent de signer une tribune de soutien à leur banque, publiée ce vendredi par Ouest Franceet le Télégramme. Ce collectif a pris pour nom «Avis de tempête». Prémonitoire…

Franck Bouaziz  Libération

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