Capture d’écran 2018-06-07 à 14.04.59.png

ANALYSE. Le combat pour l’indépendance des caisses de Bretagne et du Sud-Ouest du Crédit Mutuel remet en question un pilier du système bancaire à la française : le mutualisme. Avec le risque d’entamer l’image du secteur auprès des autorités européennes.

Il a d’abord surpris. Il a parfois suscité de l’ironie. Mais, depuis peu, il provoque l’inquiétude. Ces derniers mois, le conflit fratricide qui oppose le  Crédit Mutuel Arkéa et la Confédération nationale du Crédit Mutuel (l’organe politique du groupe bancaire mutualiste) a pris un nouveau tournant : le camp « breton », qui revendiquait jusqu’à présent sa pleine autonomie par rapport à la Confédération du Crédit Mutuel, a décidé de poursuivre un objectif beaucoup plus radical et de tout mettre en oeuvre pour faire sécession du groupe bancaire.  Ce divorce inédit est encore loin d’être prononcé, mais il est regardé de près par tous les banquiers mutualistes français, qui craignent d’en subir les effets de bord.

Au coeur de leurs inquiétudes, il y a d’abord les risques de contagion à d’autres banques régionales qui se verraient bien, elles aussi, seuls maîtres chez elles. Pierre angulaire de la banque à la française, le mutualisme – cette organisation décentralisée par laquelle des champions régionaux parviennent à conserver leur ancrage local tout en s’unissant autour d’une marque puissante – a nourri au fil des années l’émergence d’individualités fortes et parfois de baronnies régionales.

Une contagion n’aurait rien d’anodin dans la mesure où elle toucherait le fonctionnement des premiers groupes bancaires du pays. Crédit Agricole n’affiche pas moins de 27 millions de clients particuliers en France contre 31 millions pour BPCE. Même ordre de grandeur au Crédit Mutuel, qui revendique pour la France 29 millions de clients particuliers. Par comparaison, BNP Paribas – jardin à la française, parfaitement centralisé, plus puissant à l’international – n’aligne que 6,6 millions de clients particuliers dans sa banque de détail en France.

Pour l’instant, aucun autre projet d’indépendance ne s’est fait connaître mais l’image du secteur pâtit déjà du conflit au Crédit Mutuel. De quoi alimenter les craintes des banquiers mutualistes vis-à-vis de leur cote de confiance auprès du gendarme bancaire européen. Estimant que les faiblesses de gouvernance interne des banques ont joué un rôle clef dans la crise financière de 2008, les régulateurs regardent en effet d’un oeil plus vigilant ces groupes mutualistes dont le pouvoir politique est dispersé dans leurs différentes caisses régionales.

Au prix de plusieurs réformes, les groupes français sont parvenus à renforcer leur crédibilité auprès de  la BCE , mais cet exercice de normalisation n’est pas achevé. Récemment, le groupe BPCE a dû demander l’autorisation aux Banques Populaires et aux Caisses d’Epargne de réaliser un apport d’actifs de ses banques régionales vers son organe central, BPCE SA, pour éventuellement renforcer ses fonds propres avant l’été et ainsi donner des gages de sa solidité de son organe centrale à la BCE. Sur le front de la gouvernance, les banques mutualistes qui accueillent à leurs conseils des administrateurs sociétaires non banquiers sont aussi questionnées par les régulateurs européens, qui cherchent à  « professionnaliser » leurs conseils…

Une gouvernance plus « normale »

Les grandes banques mutualistes espèrent néanmoins que les régulateurs sauront séparer le bon grain de l’ivraie. Ces dernières années, les leaders du secteur se sont employés à se réformer pour normaliser leur gouvernance et resserrer les liens entre leurs différentes entités régionales, que ce soit via la mise en commun de moyens informatiques ou avec le partage de dirigeants censés « tourner » dans les différentes directions des entités locales. Gouvernés d’une main de fer dans un gant de velours, BPCE et le Crédit Agricole ont aussi su mettre en sommeil  les velléités de puissance de leurs barons régionaux . Des évolutions qui les rassurent sur les probabilités que le scénario du Crédit Mutuel ne se rejoue ailleurs.

Les défenseurs de cette thèse en veulent pour preuve le mode de gouvernance du groupe Crédit Mutuel, qui reste un cas à part dans le paysage mutualiste français. Le Crédit Mutuel n’est pas une fédération, mais bien  une « confédération » . Il réunit 19 fédérations très autonomes, elles-mêmes regroupées en six caisses fédérales, chapeautées par la Confédération nationale. Facteur aggravant, si l’on peut dire, le poids des six caisses fédérales est assez déséquilibré puisque le groupe CM11, qui réunit onze fédérations et dont le siège est à Strasbourg, représente plus de 80 % des résultats de l’ensemble. L’autre « grand seigneur », loin derrière, n’est autre qu’Arkéa… L’attelage est très différent au  Crédit Agricole , où la « fédération » est unique et donc bien plus puissante politiquement : il s’agit d’une sorte de parlement où les patrons des 39 caisses régionales confrontent leurs positions et travaillent en commission.

La  taille assez modeste d’Arkéa incite aussi à relativiser les enjeux : avec un peu moins de 130 milliards d’euros de bilan, la banque bretonne reste un acteur de taille moyenne à l’échelle française. Son indépendance ne changerait donc pas la face de la finance ! Enfin, ultime argument qui vient rassurer les groupes mutualistes : quitter un ensemble bancaire tel que le Crédit Mutuel sera techniquement compliqué. Pour ne pas alimenter les désirs d’autonomie qui pourraient couver ici ou là, le gouvernement s’est refusé catégoriquement à faire évoluer la loi pour donner naissance à une nouvelle banque mutualiste.

Il ne reste donc plus que deux options, toutes deux complexes et coûteuses pour Arkéa. L’une impliquerait de créer une entité à laquelle les caisses locales d’Arkéa apporteraient leurs passifs et actifs ; celle-ci serait la seule à disposer du statut bancaire et changerait considérablement l’équilibre des forces dans le groupe, les caisses étant réduites au rôle de distributeur. L’autre option consiste à s’inspirer de l’exemple allemand en créant un fonds de garantie pour l’ensemble des banques d’Arkéa. Une solution qui nécessiterait des fusions de banques régionales et l’obtention d’une multitude d’agréments bancaires… Ce laborieux chemin, à l’issue incertaine, pourrait donc constituer le principal rempart à l’indépendance d’Arkéa ou de tout autre candidat au départ.

LES POINTS À RETENIR

Crédit Mutuel Arkéa, qui rassemble les fédérations Bretagne, Sud-Ouest et Massif central du groupe mutualiste, veut devenir indépendant de la Confédération nationale du Crédit Mutuel.

Ce divorce inédit est regardé de près par les trois grands groupes bancaires mutualistes, Crédit Agricole, BPCE et Crédit Mutuel.

La crise pourrait ternir l’image du système bancaire mutualiste tricolore aux yeux de la BCE.

Cependant, il est peu probable que le scénario du Crédit Mutuel se reproduise chez ses concurrents, en raison d’un modèle de gouvernance très spécifique.

Sharon Wajsbrot et Edouard Lederer
@Sharonwaj@EdouardLederer
 capture-decran-2016-10-22-a-16-54-54