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Sous la pression de l’Autorité des marchés financiers, Arkéa, que dirige Jean-Pierre Denis, est obligée d’admettre que son projet de divorce d’avec la Confédération nationale du Crédit mutuel est une pure folie, assortie de risques innombrables qui ne sont pas encore tous identifiables ni chiffrables. La banque n’en continue pas moins son aventure hautement périlleuse.

Voilà des mois que la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM) répète inlassablement que le projet de sécession de la banque Arkéa, regroupant ses fédérations de Bretagne et du Sud-Ouest, est une pure folie. Ce qui est aussi le point de vue des autorités de tutelle des banques, la Banque centrale européenne (BCE) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui dans de nombreux courriers adressés au patron de l’établissement breton, Jean-Pierre Denis, l’ont mis en garde contre son projet, soulignant ses très graves dangers. Et jusqu’à présent, il faut bien admettre qu’Arkéa faisait mine de ne pas entendre ces mises en garde, et continuait, tête baissée, d’avancer dans son aventure.

Mais désormais, ce n’est plus le cas. Les autorités de tutelle des banques ont-elles tordu le bras à la direction d’Arkéa pour qu’elle admette elle-même publiquement que son projet était assorti de risques considérables ? La direction de la banque risquait-elle d’être prise en flagrant délit de diffusion de mauvaises informations aux marchés, si elle ne se pliait pas à cette exigence de transparence ?

En réalité, selon nos informations, ce ne sont dans le cas présent ni la BCE ni l’ACPR, guère pugnaces, qui ont donné de la voix mais l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui a la charge de réguler les marchés et de veiller à l’honnêteté et à la sincérité des informations financières qui y sont diffusées, de sorte que les investisseurs puissent agir en bonne connaissance de cause.

C’est donc un véritable coup de semonce que l’AMF a adressé à Arkéa, qui s’était cantonnée jusque-là à délivrer des informations lénifiantes aux marchés. Et le résultat est stupéfiant : le « document de référence actualisé » que la banque Arkéa a mis en ligne sur son site Internet, ce mercredi 29 août, portant sur l’exercice 2017 est d’une tonalité qui n’a strictement plus rien à voir avec le « document de référence » initial, publié au printemps dernier. Ce n’est pas une actualisation ; c’est une révolution.

Il suffit d’examiner tour à tour les documents. Voici d’abord le « document de référence »pour 2017, publié au printemps dernier.

Dans ce document, en aucun passage, il n’était dit que Arkéa envisageait une « désaffiliation unilatérale » – la formule n’apparaît pas dans le texte. Et aucun risque lié au projet n’était évoqué. Le document suggérait même explicitement que l’indépendance d’Arkéa ne mettrait pas en cause son « statut coopératif et mutualiste et l’ancrage territorial » – alors que la BCE et l’ACPR ont maintes fois répété que ce serait pourtant le cas.

Bref, le « document de référence » première mouture présentait Arkéa sous ses plus beaux atours et n’évoquait aucun danger à l’horizon.

Avec le « document de référence actualisé », changement radical de ton : la banque est contrainte d’admettre que le projet d’indépendance pourrait être hautement dangereux. Voici ce document.

Les jongleries sémantiques d’Arkéa

Quand on consulte ce document, on tombe d’abord sur une première bombe : pour la première fois, la direction d’Arkéa est contrainte d’admettre qu’elle envisage « une désaffiliation unilatérale » de la CNCM.

« Le Groupe Crédit Mutuel Arkéa va désormais engager la mise en œuvre opérationnelle de sa désaffiliation unilatérale. Le Conseil d’administration de Crédit Mutuel Arkéa, en date du 29 juin 2018, a approuvé le schéma d’organisation cible du futur groupe indépendant et a appelé les caisses locales à se prononcer à compter de l’automne 2018 sur la mise en œuvre de ce schéma. Il a par ailleurs été décidé que Crédit Mutuel Arkéa exercera ses activités sous une autre dénomination sociale que “Crédit Mutuel”. En tout état de cause, la mise en œuvre opérationnelle de la désaffiliation unilatérale du Groupe Crédit Mutuel Arkéa reste soumise à l’approbation des caisses locales », peut-on lire.

Ces lignes fonctionnent comme un aveu : les dirigeants d’Arkéa n’ont aucun mandat des caisses locales pour sortir unilatéralement de la CNCM. Ils se sont dotés de ce mandat via le seul conseil d’administration d’Arkéa (et pas les conseils des caisses locales) mais uniquement dans le cas d’une agression de la CNCM, agression qui n’a pas eu lieu. Ils agissent donc sans mandat direct des caisses. Ce projet de désaffiliation unilatérale semble malgré tout enclenché.

Deuxième aveu : la direction d’Arkéa, qui avait longtemps fait campagne contre la CNCM en prétendant qu’elle nourrissait un projet secret de centralisation, remettant en cause l’indépendance des caisses locales, est dans l’obligation d’admettre que ce projet de centralisation, c’est en fait elle-même qui veut le mener à bien : « Pour ce faire, l’ensemble des activités financières réglementées des caisses locales seraient apportées ou cédées à Arkéa, qui ouvrira corrélativement des agences locales en leur sein. De plus, dans le cadre de cette nouvelle organisation, toutes les opérations de banque et les services d’investissement seraient alors effectués par l’agence locale d’Arkéa, ouverte dans les mêmes locaux que ceux de la SCL », peut-on lire.

Et c’est ensuite que le document est dans l’obligation de pointer les risques innombrables de l’opération de divorce.

Il y a d’abord les « risques relatifs à la complexité du contexte et des risques liés à la désaffiliation du Groupe Crédit Mutuel Arkéa de l’ensemble Crédit Mutuel ».

« Le projet de désaffiliation tel qu’envisagé par Crédit Mutuel Arkéa est inédit et particulièrement complexe à réaliser. La situation liée au projet de désaffiliation du Groupe Crédit Mutuel Arkéa de l’ensemble Crédit Mutuel est complexe et des incertitudes et des risques associés existent. Par ailleurs, les éventuels enjeux commerciaux liés à la perte de la marque “Crédit Mutuel” et l’adoption par Crédit Mutuel Arkéa d’une dénomination et de marques commerciales ne reprenant pas les termes “Crédit Mutuel” doivent être pris en considération. » Ce qui est évidemment de nature à inquiéter passablement les marchés, puisque c’est Arkéa elle-même qui le dit.

La banque fait ensuite un ajout qui retient particulièrement l’attention, même s’il a été écrit de manière alambiquée pour ne pas éveiller les soupçons : « La mise en œuvre de la désaffiliation du Groupe Crédit Mutuel Arkéa ne modifiera pas sa nature de groupe coopératif et territorial, aux valeurs mutualistes. Cependant, sa désaffiliation de l’ensemble Crédit Mutuel a des conséquences qui peuvent être difficiles à appréhender. Du fait de son caractère inédit, Crédit Mutuel Arkéa ne peut garantir que le projet sera conduit à son terme, qu’il ne devra pas faire l’objet de modifications majeures par rapport à ce qui était initialement prévu ou que des difficultés nouvelles émergent lors de sa mise en œuvre. »

Là encore, les investisseurs risquent de ne guère apprécier autant d’incertitude. Mais il y a aussi un aveu de plus, presque dissimulé. Car le mandat reçu par la direction d’Arkéa des administrateurs de caisses locales était de riposter à une possible agression de la CNCM par un projet d’indépendance, mais en veillant bien à ce que la banque garde son statut coopératif et mutualiste.

Or la BCE et l’ACPR ont plusieurs fois mis en garde Arkéa, en faisant valoir que son divorce lui ferait perdre son statut mutualiste, auquel les sociétaires sont fortement attachés. Dans la formulation ci-dessus, on constate donc un habile glissement sémantique : il n’est plus dit qu’Arkéa restera une banque mutualiste et coopérative. Non, elle se transformera en une banque coopérative… « aux valeurs mutualistes ». Ce qui n’a plus rien à voir.

Au siège du Crédit Mutuel de Bretagne au Relecq-Kerhuon (Finistère), une bannière arbore le mot d'ordre « Indépendance pour Arkéa ». © DRAu siège du Crédit Mutuel de Bretagne au Relecq-Kerhuon (Finistère), une bannière arbore le mot d’ordre « Indépendance pour Arkéa ». © DR

Et ensuite, il y a les « risques relatifs aux caisses locales » et les « incertitudes sur la possibilité pour les caisses locales de poursuivre des émissions de parts sociales par offre au public et perte de l’agrément des caisses locales ».

« La désaffiliation unilatérale des caisses locales de l’ensemble Crédit Mutuel emporterait la perte du bénéfice de l’agrément bancaire collectif octroyé dans les conditions de l’article R. 511-3 du Code monétaire et financier (CMF), ce qui pourrait être susceptible d’avoir un impact sur leur possibilité d’émettre, pour le futur, des parts sociales par offre au public. Les émissions par offre au public des parts sociales constituent à ce jour une source de financement essentiel pour CMA. L’incapacité des caisses locales à poursuivre les émissions par offre au public pourrait avoir des incidences fortes sur sa situation financière si un schéma alternatif n’était pas mis en place. Un schéma d’émission est en cours d’étude avec l’ACPR et la BCE. Il n’existe aucune certitude sur le fait que le schéma proposé soit accepté par les autorités. » La direction de la CNCM n’emploierait pas de formules plus acerbes pour condamner le projet.

Cela se poursuit par les « risques liés à l’accord des autorités de contrôle ».

« La réalisation du projet de désaffiliation unilatérale est soumise à la décision de l’ACPR et de la BCE concernant l’agrément bancaire de Crédit Mutuel Arkéa et des caisses locales qui lui sont rattachées, ces autorités étant amenées à se prononcer lorsque la perte de la qualité de société affiliée sera notifiée à l’ACPR par l’organe central pour chaque entité du Groupe Crédit Mutuel Arkéa conformément à l’article L. 511-31 du CMF. À ce stade, des discussions sont en cours avec chacune de ces autorités, aucune assurance ne peut être donnée quant à l’obtention de leur accord ni quant au délai et aux modalités de l’obtention de leur accord. La modification de la dénomination sociale de Crédit Mutuel Arkéa nécessitera l’accord préalable de ces autorités », peut-on lire. Ce qui est tout aussi ravageur.

On passe ensuite au « risque lié aux calculs prudentiels ». « Par ailleurs, la désaffiliation du Groupe Crédit Mutuel Arkéa de l’ensemble Crédit Mutuel pourrait entraîner une évolution du modèle interne de calcul des risques pondérés conduisant à une augmentation des exigences en fonds propres, voire un passage vers un modèle standard (…) La désaffiliation de l’ensemble Crédit Mutuel pourrait conduire à revoir le mode d’évaluation des risques pondérés pour les 58 milliards d’euros d’expositions au risque actuellement évaluées selon une approche notation interne », admet le document.Il y a juste les « risques liés aux demandes d’indemnisation de la CNCM » qu’Arkéa conteste. Comme Mediapart l’avait révélé (notre article est ici), la confédération étudie la demande de dommages considérables, si la sécession intervenait. « À ce jour, le Groupe Crédit Mutuel Arkéa n’a pas été saisi d’une quelconque demande formelle et étayée. Crédit Mutuel Arkéa contestera cette demande si elle venait à être formalisée », lit-on dans ce document actualisé.

Quoi qu’il en soit, que penser d’un projet de scission que la banque présente de la sorte ? C’est elle-même qui le suggère : le bon sens serait de mettre fin aux hostilités et de suspendre cette guerre bancaire stupéfiante. Et pourtant, Arkéa n’a visiblement nulle intention de rendre les armes. Comprenne qui pourra.