Selon le ministère du Travail, un tiers des 600 000 élus du personnel serait amené à disparaître du fait de la mise en place du comité social et économique.

Selon le ministère du Travail, un tiers des 600 000 élus du personnel serait amené à disparaître du fait de la mise en place du comité social et économique.

Avec le comité social et économique, 200 000 élus du personnel vont perdre leur mandat. Et devoir retrouver un poste.

Recours à des cabinets de conseil, reclassement interne ou externe, création de postes ad hoc… en ce début d’année 2019, entreprises et syndicats s’attellent sérieusement à « recaser » les élus du personnel qui vont perdre leur mandat en raison de la mise en place du comité social et économique (CSE), qui devra être achevée avant le 1er janvier 2020. Et l’inquiétude règne.

Aujourd’hui, ils sont environ 600 000. Selon le ministère du Travail, un tiers d’entre eux sont amenés à disparaître du fait de la fusion des comités d’entreprise (CE), des comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT) et des délégués du personnel (DP) née des ordonnances Travail. Un casse-tête pour les DRH.

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Chez Bouygues Telecom, le nombre de mandats a été réduit de 40%; à la Maif, il a été divisé par deux; dans les boutiques Nespresso, le nombre de sièges du comité d’entreprise est passé de 35 à 11 quand il s’est transformé en CSE. Que faire des recalés et de ceux qui ne veulent pas rempiler ?

Certains de ces permanents ont quitté leurs responsabilités opérationnelles depuis parfois depuis 20 ans et n’ont pas du tout envie d’y retourner. A l’image de Jacques Mouton: « Après dix ans de syndicalisme à temps plein, je m’étais promis de reprendre mes fonctions, explique cet ex-coordinateur CFDT à Engie. Mais après avoir dirigé un syndicat, négocié avec la direction, acquis une grande liberté et des compétences, il est difficile, à 50 ans, de redevenir chef de chantier ». Pour toutes ces raisons et parce qu’il voulait se rapprocher de son lieu de résidence, il a décliné les propositions d’emploi (« intéressantes », admet-il) que lui faisaient Engie et son syndicat. Il a quitté son employeur et monté sa micro-entreprise, un cabinet de conseil en relations sociales, Libelus.

Des compétences devenues obsolètes

Parce qu’ils ne sont pas réélus, ou parce qu’ils ne souhaitent pas poursuivre une vie de militant qui empiète sur leur vie personnelle et sur leur carrière, tous les élus du personnel doivent un jour se « repositionner ». « La situation n’est pas nouvelle. Mais la création du comité social et économique la rend plus critique. Comme les managers RH ne savent pas repositionner les élus du personnel, ces derniers nous interpellent de plus en plus », explique Céline Châtelier, responsable des dispositifs d’accompagnement des mandatés dans le cabinet de conseil Catalys.

Pour les « petits » mandats (quelques heures de délégation par mois), la solution est simple: le retour au poste de travail à temps plein. Pour les mandats lourds, c’est plus compliqué, parce que leurs compétences professionnelles sont devenues obsolètes, qu’ils ne veulent pas revenir à leur poste initial – qui n’existe parfois plus – ou parce qu’ils sont « marqués ». Quelques-uns se replacent en interne dans les services RH, « après un sas de décontamination », sourit Jacques Mouton. D’autres quittent leur employeur pour créer leur activité ou travailler dans une mutuelle. Mais les places sont rares, pas assez nombreuses pour absorber les recalés du CSE.

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Le gouvernement s’est rendu compte qu’il ne pouvait plus se désintéresser du sort de ces milliers de sortants, qu’il en allait de sa réforme du dialogue social. Le rapport Gateau-Simonpoli de février 2018 relevait que « certains mandatés actuels risqueraient d’être d’autant moins enclins à se projeter dans le cadre futur qu’ils seraient angoissés par l’incertitude de leur propre devenir ».

Mais ce n’est qu’au mois de juin dernier, alors que le déploiement des CSE était déjà largement entamé, que les pouvoirs publics ont pris une première mesure concrète en faveur de leur reclassement: un arrêté transposant les compétences acquises au cours du mandat dans des titres professionnels. Les élus du personnel peuvent désormais obtenir partiellement des diplômes grâce aux compétences qu’ils ont acquises au cours de leurs mandats. Mais il faudra du temps pour que le dispositif monte en puissance et irrigue toutes les entreprises.

Des astuces pour recaser les sortants

En attendant, les solutions sont trouvées sur le terrain. Axa a mis en place des entretiens de « révélation de compétences », réalisés par le cabinet Sémaphores, afin de faire la liste de ce que les élus ont mis en pratique pendant leur mandat et qui peut éventuellement intéresser l’assureur. Surtout, le salaire des mandatés sortants n’est pas imputé sur le budget du service qu’ils rejoignent, afin de ne pas rebuter les managers. Ces deux dispositifs ont été décidés AVANT la négociation sur le CSE. « Nous nous sommes dit qu’il fallait sécuriser tout de suite la question des fins de mandat, pour que les délégués syndicaux puissent négocier sereinement l’accord », analysait Sibylle Queré-Becker directrice des relations sociales d’Axa lors d’une rencontre organisée par le média spécialisé News Tank RH, fin novembre.

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En juillet dernier, Sanofi a signé avec ses syndicats un accord consacré aux élus qui vont perdre leur mandat en 2018 et 2019. Le texte prévoit un accompagnement, avec la possibilité d’affecter les ex-mandatés « à titre transitoire sur des postes d’observation sans responsabilité opérationnelle » ou à une fonction de chargé de mission. Des postes créés ex nihilo.

Des astuces pour recaser les sortants

Chez AXA, on a adopté une autre stratégie, profiter de la mise en place des CSE pour créer en parallèle… de nouveaux mandats : des délégués syndicaux supplémentaires, des coordinateurs syndicaux, des représentants syndicaux, ainsi que 120 « représentants de proximité », dont plus des deux tiers ne sont pas élus par les salariés mais désignés par le CSE. Cette solution est souvent adoptée par les entreprises sous pression des syndicats. « Ils poussent à la création de mandats désignatifs, à la fois pour répondre à un authentique besoin de proximité, mais aussi pour contrebalancer la réduction du nombre de mandats électifs », constate Céline Châtelier.

A la Maif, le nombre de mandats d’élus au CSE a été divisé par deux, mais 122 mandats de représentants de proximité désignés parmi les salariés ont été créés. Chez Airbus, on appelle ces mandatés de proximité désignés par les organisations syndicales « représentants de la vie sociale ». Leur nombre est proportionnel aux effectifs de l’établissement. Air France a créé 256 mandats de représentants de proximité, eux aussi désignés par les syndicats.

Ces mandats ne compensent pas toujours la réduction des mandats électifs. Tout dépend du nombre d’heures de délégation qui leur sont attribuées. Mais ils atténuent les effets de la réforme. Les auteurs des ordonnances travail avaient eux-mêmes ouvert la porte en donnant un statut à ces représentants de proximité, sans les rendre obligatoires. Dans les entreprises qui en ont les moyens, c’est donc là, essentiellement, que se recasent les recalés du CSE.

Les entreprises se sont plaintes pendant des années qu’il y avait trop d’élus du personnel. Paradoxalement, alors qu’elles ont désormais la possibilité d’en réduire le nombre, elles en rajoutent.