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Paiement instantané : un décollage pour les clients en 2020 ?

Homme utilisant son mobile pour diviser une dépense entre ses amis
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En août, MasterCard a déboursé 2,85 milliards d’euros pour acquérir le danois Nets et son service de paiement instantané. Cette opération – la plus importante dans l’histoire du géant américain – lui permet de se diversifier au-delà de la carte bancaire. Un événement qui illustre les perspectives attendues pour ce nouveau mode de paiement.

Beaucoup d’émulations et d’attentes autour de l’Instant Payment

Une révolution autour du paiement instantané s’annonce : selon la Banque centrale européenne (BCE), il pourrait représenter 23% des paiements totaux en Europe d’ici 2023 (1) avec un taux d’adoption en France de 13% dès 2022. Depuis le lancement du système SCT Inst, le service de paiement instantané transfrontalier disponible dans les 34 pays de la zone SEPA en 2017, les cas d’usages européens se multiplient. Un projet entre la Deutsche Bank et l’IATA (Organisation internationale du transport aérien) vise à réduire les 7 milliards d’euros dépensés par les membres de l’organisation en frais bancaires et de gestion des fraudes.

« La plupart des banques facturent les paiements instantanés entre 0,60 et 1 euro par transaction »

En France, la liste des banques permettant les virements d’un compte à un autre en quelques secondes ne cesse de s’allonger : Groupe BCPE, BNP Paribas, Boursorama, etc. Le service se déploie également à travers Paylib depuis avril 2019. Enfin, Natixis et Air France ont annoncé un partenariat qui permettra, entre autres, le remboursement immédiat des clients de la compagnie.

Une révolution encore peu palpable en France

Si BNP Paribas et la Société Générale se réjouissent d’avoir enregistré chacun 2 millions de virements instantanés depuis le début 2019, nous sommes encore loin des 325 millions de virements classiques effectués tous les mois en France (2) – sans parler des 200 millions d’Instant Payments mensuels en Grande-Bretagne, pays dans lequel le paiement instantané est lancé depuis 2008. Cette lente montée en puissance s’explique notamment par un modèle économique encore incertain autour de ce service. En effet, il nécessite des investissements coûteux et doit trouver sa place entre le virement classique gratuit et la carte bancaire. A l’heure actuelle, la plupart des banques facturent les paiements instantanés – entre 0,60 et 1 euro par transaction – ralentissant ainsi probablement leur développement. La révolution annoncée de l’Instant Payment n’aura donc pas lieu tant que l’équation cas d’usage/prix n’aura pas été résolue.

Une accélération mise à mal par l’incertitude autour de la DSP2

La directive européenne sur les services bancaires (DSP2) semble à première vue favorable au paiement instantané. En effet, elle renforce la sécurité des transactions grâce à l’authentification forte, une procédure d’identification avec double vérification qui combine par exemple un mot de passe avec l’envoi d’un SMS. La directive permet aussi aux nouveaux acteurs du marché d’initier des ordres de paiement en leur donnant accès aux données bancaires nécessaires via les interfaces de programmation – APIs – des banques.

« Les usages du paiement instantané sont prometteurs et multiples »

Pourtant, sa mise en place complexifie pour le moment le parcours client : redirection sur les sites des banques pour l’authentification, renouvellement des mots de passe tous les trois mois, etc. Enfin, l’ampleur du chantier est telle qu’au moment de l’entrée en application de la directive en septembre, seules 18% des banques étaient pleinement conformes à ses exigences (3).

Les cas d’usage sont prometteurs pour l’avenir

La patience est donc de rigueur pour l’innovation portée par le paiement instantané. Dans les prochains mois, la généralisation sera probablement portée successivement par les trois cas d’usage suivants :

D’abord l’enrichissement des services bancaires par les banques elles-mêmes : par exemple le paiement des primes sinistres de Natixis Assurances, les virements des grandes entreprises pour Société Générale ou encore le déclenchement instantané de crédits consommation.

Ensuite le paiement entre individus, avec le transfert d’argent entre amis, les achats de biens et services sur les plateformes d’économie collaborative (Leboncoin, Vinted, Lulu dans ma rue, …), ou les artisans indépendants qui pourraient se passer alors du chèque. Mais cela nécessite de trouver la bonne application pour réaliser le paiement, rôle que Paylib, Lydia ou LyfPay aimeraient tenir.

Et enfin la création de nouveaux services de paiement pour les entreprises, offrant des services à valeur ajoutée comme le paiement à la commande, les remboursements instantanés, l’encaissement en ligne sécurisé … Sur ce volet les perspectives restent incertaines tant la carte a imposé son modèle en France.

Les usages du paiement instantané sont prometteurs et multiples et laissent présager un déploiement certain, une fois les exigences réglementaires de la DSP2 respectées par l’ensemble des établissements bancaires, soit a minima après 2021. La complexité de leur mise en place exige cependant des différents acteurs de se positionner dès maintenant : si les banques doivent anticiper le phénomène – comme l’a fait Arkéa avec l’élargissement des assurances de cartes bancaires aux paiements instantanés – , les commerçants et fournisseurs de service ont tout intérêt à tester des cas d’usage concrets, comme Uber qui payera bientôt instantanément les chauffeurs après chaque course dans une logique de fidélisation.

Franck Van Daële
© 2019 Franck Van Daële

Franck Van Daële est Directeur chez Mawenzi Partners, en charge du développement dans les Services Financiers. Mawenzi Partners est un cabinet de conseil en stratégie focalisé sur les leviers de la croissance.

(1) BCE 2018

(2) Chiffres 2017 de la Banque de France

(3) Selon la plateforme suédoise d’open banking Tink – novembre 2019
En savoir plus sur https://www.cbanque.com/actu/76856/paiement-instantane-un-decollage-pour-les-clients-en-2020#y6EQsdpaORT3kMJ7.99

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Crédit immobilier : les banques déclarent la guerre aux courtiers

Confrontés à des taux historiquement bas, plusieurs mastodontes du secteur – mutualistes en particulier – ont commencé à sérieusement durcir, voire à rompre leurs relations avec les courtiers en crédit immobilier. Ils espèrent restaurer leurs marges en supprimant un intermédiaire.

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Certaines caisses régionales du Crédit Agricole ont commencé à revoir leur partenariat avec les réseaux de courtage.

XAVIER VILA/SIPAPar Raphaël BlochÉdouard LedererHubert VialattePublié le 22 nov. 2019 à 6h30

En dix ans, ils se sont imposés dans le paysage. Souvent lancés comme de modestes affaires de famille,  les courtiers en crédit génèrent aujourd’hui 40 % des demandes de crédit immobilier en France, et même 60 % en région parisienne, selon la profession. Mais cet âge d’or est en train de s’achever.

Selon nos informations, plusieurs grandes banques ont commencé à remettre sur la table leur partenariat avec les réseaux de courtage. « La guerre est déclarée », déclare l’un des plus gros courtiers français.

Des courtiers « déconventionnés »

Si les situations varient d’une région et d’une banque à l’autre, les mutualistes ont clairement durci le ton : ils ne veulent plus payer 1 % de commission sur chaque dossier, alors que leurs parts de marché, au niveau local, peuvent être très élevées.

Crédit Agricole Languedoc (CAL) a ainsi mis fin à tous ses contrats avec les courtiers. « On ne gagne plus d’argent sur les prêts à l’habitat,explique le CAL. Avec nos parts de marché, nous nous rendons compte que nous n’avons pas besoin de sourcing ».

Plus largement, certains courtiers se sont vus « déconventionnés » dans le Sud-Ouest de la France et le même mouvement est à l’oeuvre dans le Nord-Ouest. « Il y a des tensions avec les banques », reconnaît Philippe Taboret, président de l’Association professionnelle des intermédiaires en crédit (Apic) et directeur général adjoint de Cafpi.

Ce qui a mis le feu aux poudres

Chez Crédit Mutuel Arkéa (qui regroupe la Bretagne, le Sud-Ouest et pour l’heure le Massif Central), un nouveau chapître s’ouvre. « Nous voulons continuer à travailler avec les courtiers à la condition que l’on se situe bien dans un partenariat. Nous exigeons des dossiers de bonne qualité, un partage équilibré de la valeur, et un taux de transformation convenable. Dans le cas contraire, nous dénonçons les conventions de courtage », avance Sébastien Musset, directeur général groupe adjoint chez Crédit Mutuel Arkéa.

C’est la faiblesse persistante des taux qui a mis le feu aux poudres. Confrontées à des taux historiquement bas, les banques veulent restaurer leurs marges en supprimant un intermédiaire. « Les banques ne peuvent pas jouer sur les taux donc elles regardent là où il y a des marges et les courtiers sont une proie de choix », lâche un bon connaisseur du secteur.

Les banques admettent que les courtiers ont su répondre à une demande. « Les courtiers se sont développés sur un besoin de comparaison des offres, correspondant bien à l’ADN des consommateurs. Mais il faut aussi reconnaître que le monde bancaire n’a pas toujours bien su, dans le passé, répondre aux attentes des clients », reconnaît Sébastien Musset. « Beaucoup de courtiers se sont engouffrés dans la brèche de la méfiance des banques, qui a fait suite à la crise financière de 2008 », ajoute un autre banquier.

« Ils vont se planter »

Pour les plus gros courtiers, Meilleurtaux, Cafpi ou Empruntis, la messe n’est pas dite. Les banques « n’ont pas les moyens de gérer les dossiers. Ils vont se planter », confie l’un d’eux. Les courtiers restent par ailleurs utiles dans les zones les plus concurrentielles. En région parisienne, notamment, aucune banque ne domine le paysage, ce qui favorise les apporteurs d’affaires.

« Certaines banques partent, d’autres arrivent », relativise Hervé Hatt, président du Groupe Meilleurtaux, qui revendique la place de leader sur le marché français (10 milliards d’euros de production).  Pour certains acteurs bancaires cherchant à rapidement gagner des parts de marché , le courtage reste une façon de gagner du temps.

Raphaël Bloch et Edouard Lederer avec Hubert Vialatte, à Montpellier

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Les effets cachés du télétravail des cadres

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Les effets cachés du télétravail des cadres

PAR ROZENN LE SAINT / 04 NOVEMBRE 2019

La Dares a dévoilé ce 4 novembre une étude sur les conditions du télétravail des cols blancs. Un temps de travail plus long et une intensité tout aussi forte que dans les locaux de l’entreprise annihilent les effets positifs de l’autonomie offerte par cette option.Moins de transport, moins de contrôle direct de la hiérarchie et sans doute aussi possibilité d’une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle… Sur le papier, le télétravail coche pas mal de cases des remèdes antistress déployés par les entreprises. Une étude de la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail, intitulée « Le télétravail permet-il d’améliorer les conditions de travail des cadres ? »1 et rendue publique ce 4 novembre dans une conférence de presse commune avec l’Insee, nuance fortement cette évidence. Et montre la face cachée du travail à domicile. Les auteurs de l’analyse, Sébastien Hallépée et Amélie Mauroux, se sont appuyés sur les données 2017 de deux enquêtes phares de la Dares menées en 2017 : Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer), qui a posé, pour la première fois, une série de questions sur le télétravail, et Relations professionnelles et négociations d’entreprise (Reponse).

Des horaires à rallonge et atypiques

La population de cols blancs étudiée, celle des établissements du secteur privé de plus de 10 salariés, est la plus concernée par le labeur hors des murs de l’entreprise : 11 % d’entre eux étaient des télétravailleurs réguliers en 2017, c’est-à-dire exerçant à la maison au moins un jour par semaine, contre 3 % de l’ensemble des salariés ; 5,2 % de ces cadres, dits « télétravailleurs intensifs », sont en télétravail au moins deux jours par semaine.
Ces télétravailleurs sont aussi ceux qui cravachent le plus : en moyenne, 43 heures par semaine, contre 42,4 heures pour les non-télétravailleurs. Ils déclarent aussi deux fois plus souvent que ces derniers cumuler plus de 50 heures par semaine. De même, ils admettent plus souvent que leurs collègues travailler après 20 heures ou le samedi, mais moins souvent effectuer les mêmes horaires tous les jours ou les connaître pour le mois à venir. En somme, « ils n’en tirent pas une meilleure conciliation avec leur vie personnelle, ayant tendance à pratiquer des horaires plus longs et atypiques », soulignent Sébastien Hallépée et Amélie Mauroux. Les auteurs observent toutefois que lorsque le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif d’entreprise, le risque d’horaires à rallonge et atypiques est moindre. De plus, les télétravailleurs se disent alors « plus satisfaits des horaires de travail que lorsque l’accord est individuel. Plus l’accord est formalisé, plus il semble jouer un rôle protecteur ». Il n’est toutefois pas possible de déterminer si ce résultat peut aussi s’expliquer par le fait que les établissements signant ce type d’accord sont aussi ceux qui offrent des conditions de travail plus favorables aux cadres.

Des possibilités de coopération amoindries

Pour les télétravailleurs intensifs, les semaines à rallonge ne sont pas compensées par une intensité du travail que l’on pourrait imaginer moindre du fait de l’éloignement de la hiérarchie. Au contraire, ils déclarent 1,6 fois plus souvent que les non?télétravailleurs devoir fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre, non prévue. Sans pour autant améliorer le sentiment de reconnaissance des supérieurs et des collègues ni leurs perspectives de promotion. Ce rythme de travail et ces plages horaires étendues peuvent même les « désynchroniser » par rapport à leurs collègues et affecter les possibilités de coopération. « Les cadres en télétravail font part d’un sentiment de distance non seulement vis-à-vis de leur hiérarchie mais également de leurs collègues ou collaborateurs, notent les auteurs. A caractéristiques socio?économiques données, les cadres télétravailleurs intensifs sont moins souvent aidés que leurs homologues par leur hiérarchie et par leurs collègues pour mener à bien leurs tâches. »

En moins bonne santé

Les cols blancs amenés à travailler à domicile se déclarent en moins bonne santé que les autres. Les télétravailleurs intensifs sont même deux fois plus nombreux que les non-télétravailleurs à présenter des risques dépressifs modérés ou sévères. Un sur deux a été arrêté au moins une fois au cours de l’année écoulée, contre un sur trois parmi leurs pairs qui n’exercent pas à la maison. « Il n’est toutefois pas possible de savoir si cet état de santé dégradé préexistait à la mise en place du télétravail et aurait pu motiver cette pratique ou si, à l’inverse, le télétravail aurait pu jouer un rôle sur l’état de santé de ces travailleurs », préviennent les auteurs. Ils indiquent simplement que 10 % des cadres du privé télétravailleurs sont en situation de handicap, soit deux fois plus que chez les non-télétravailleurs.
Sans qu’un lien de cause à effet n’ait pu être établi non plus, les chercheurs notent que 21 % des télétravailleurs intensifs exercent dans un établissement ayant connu un plan de licenciement, contre 4 % des non?télétravailleurs. « Cette instabilité plus importante s’accompagne d’un sentiment élevé d’insécurité économique : 47 % des cadres du privé télétravailleurs intensifs estiment que la sécurité de leur emploi est menacée, contre 12 % des non?télétravailleurs », soulignent les auteurs. « Tout se passe comme si les avantages du télétravail étaient contrebalancés », conclut l’étude. D’ailleurs, les télétravailleurs ne sont pas plus nombreux que leurs collègues à se déclarer satisfaits de leur travail. Ceux pour lesquels le travail à domicile est plus régulier le sont même moins.

  • 1.In « L’économie et la société à l’heure du numérique », numéro de la collection Insee Références.
http://www.sante-et-travail.fr/effets-caches-du-teletravail-cadres?utm_source=emailing&utm_medium=email&utm_campaign=ABOST
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Mario Draghi s’en va et le krach se rapproche : l’assurance-vie sous pression

Marc Rousset – 26 octobre 2019 – Boulevard Voltaire

« Super Mario » quittera la BCE le 1er novembre sans rendre le casque à pointe prussien que lui avait offert le journal Bild, après s’être bien payé la tête de l’Allemagne, puisqu’il a pratiqué une politique monétaire diamétralement opposée à celle de rigueur sur laquelle il avait été élu. « Donner, c’est donner », a-t-il pu même ironiser au sujet du cadeau de Bild, dans la langue de Goethe. Il est vrai que « le comte Draghila » a sauvé momentanément la France et l’Italie de la faillite, mais ce n’est que partie remise en pire. Le président de la Bundesbank Jens Weidmann est le cocu magnifique de l’histoire, d’autant plus qu’il s’est fait voler le poste de président de la BCE par Christine Lagarde, une diplomate juriste sans formation économique.

Mario Draghi a fait acheter par la BCE, durant son mandat, 2.600 milliards d’euros de titres souverains payés par création monétaire, soit le quart des dettes publiques des États de la zone euro. Sa politique monétaire laxiste l’a amené à taxer les liquidités excédentaires des banques avec des taux négatifs qu’il vient d’abaisser à -0,5 %, tout en annonçant la reprise par la BCE, à partir du 1er novembre, « aussi longtemps que nécessaire », d’un programme de rachat d’actifs de 20 milliards d’euros par mois. Le conseil sublime de Mario Draghi à Lagarde dans son testament : « Ne jamais abandonner. »

Les taux négatifs mettent les assureurs-vie sous pression, avec la faillite comme seule perspective à terme. En France, après Suravenir, filiale de Crédit mutuel Arkéa, c’est au tour d’AG2R La Mondiale d’annoncer un emprunt obligataire non subordonné de 500 millions d’euros, pour renforcer ses fonds propres. Le spectre de la fin des fonds en euros traditionnels apparaît et l’on cherche des « épargnants suicidaires » prêts à prendre plus de risques, à la veille d’un krach, pour compenser les taux bas… qui pénalisent le rendement du portefeuille des assureurs.

La célèbre association française des épargnants AFER, avec 750.000 adhérents, demande déjà un pourcentage minimum de 30 % d’unités de compte (c’est-à-dire des actions au lieu des obligations des fonds euros) pour les nouveaux contrats de plus de 100.000 euros (entre 35 % et 70 % pour AG2R la Mondiale selon les montants versés). Les compagnies tentent de dissuader les épargnants de se « ruer » sur les fonds en euros, dont le rendement baisse, mais qui peuvent encore rester positifs quelques années, en raison de l’inertie des portefeuilles, car il faut environ quinze ans pour remplacer en totalité les obligations contenues dans les portefeuilles d’assureur en fonds euros.

Selon le cabinet de conseil international McKinsey, alors qu’on nous explique que tout va bien, plus d’une banque sur trois pourrait disparaître dans le monde, 47 % de ces dernières se trouvant en Asie et 37 % en Europe de l’Ouest. Les taux bas diminuent, aussi les marges des banques, suite à des crédits de plus en plus risqués et de moins en moins rémunérateurs, tandis que le coût des dépôts reste stable. Le spectre de la perte de confiance dans le Système apparaît… tandis qu’on nous annonce une croissance chinoise bientôt sous les 5 %.

Aux États-Unis, les bénéfices des entreprises US stagnent depuis 2012 alors que les cours s’envolent. La dette publique et privée des États-Unis s’élève à 73.000 milliards de dollars, soit plus de trois fois le PIB américain, dont 25.000 milliards de dollars ont été ajoutés ces des dix dernières années, d’où, à terme, une charge de la dette insupportable. Le 24 octobre, la Fed a dû injecter une somme anormale de 134 milliards de dollars pour éteindre un nouvel incendie sur le marché monétaire du « repo », ce qui montre qu’il y a des limites à l’endettement. Une récession à venir est plus que probable tandis que la Fed songe, pour la troisième fois, en 2019, à abaisser son taux d’intérêt, tout en ayant repris le dangereux rachat laxiste de 60 milliards de dollars de dettes par mois.

Le drame, c’est que l’Italie et la France de Macron ne font absolument rien pour améliorer l’état des finances publiques. Nous nous dirigeons vers un krach financier et une énorme crise monétaire comme étape ultime. Dans le pire des cas, tout va exploser ; dans le meilleur des cas, la BCE imprimera tellement de monnaie que cette dernière, à terme, ne vaudra plus rien.

https://www.bvoltaire.fr/mario-draghi-sen-va-et-le-krach-se-rapproche-lassurance-vie-sous-pression/

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«?FinTech?» : attention au retour de bâton

Le 16 octobre 2019  dans Banques/News

Les géants de la banque et de l’assurance, entre autres, se ruent depuis plusieurs années sur de jeunes pousses de la finance, comme Leetchi (Arkéa) ou Le Pot commun (BPCE) par exemple. Problème : selon le Forum économique mondial, cet appétit démesuré présente «?un risque systémique pour l’économie?». Et pas seulement…

C’est bien connu, les investisseurs patentés raffolent de toutes les nouveautés qui s’offrent à eux autour du globe. Davantage encore quand la cible de leurs placements touche aux outils numériques et se farde d’une contraction de deux mots en guise de nom. La «?FinTech?», terme issu de l’union entre «?finance?» et «?technologie?», attire ainsi depuis plusieurs années les géants de la banque et de l’assurance. Qui voient dans cette matière aux accents disruptifs et digitaux une source de profits sûrs et conséquents à venir.

Depuis le rachat en 2015 de la cagnotte en ligne Leetchi par le Crédit Mutuel Arkéa (CMA), les acquisitions et autres sorties d’argent pleuvent sur le petit monde des jeunes pousses de la finance. La solution de paiement à plusieurs Le Pot commun et la banque en ligne Fidor seront elles aussi rapidement «?mangées?» par un autre grand nom du secteur, la Banque Populaire Caisse d’Épargne (BPCE). Avant que le «?service bancaire alternatif?» Compte-Nickel n’entre quant à lui sous le giron de BNP Paribas.

Soupçons d’irrégularités

Désormais, il est établi que ces grands groupes considèrent les start-up comme partie intégrante de leur stratégie (de R&D et d’innovation notamment). Après quelques réticences, ces derniers ont fini par voir dans ces petites structures où le tâtonnement est permis — mais également la réussite —, de juteuses opportunités. «?Au départ, les grands groupes riaient des start-up, maintenant ils s’y intéressent, car les start-up autorisent le droit à l’erreur, au pivot, à l’innovation?», constatait ainsi Alain Clot, président de l’Association France FinTech, l’an dernier.

Oui, mais voilà. Comme l’a rappelé le Forum économique mondial (FEM), cette vague de nouveaux acteurs estampillés FinTech, comparée non sans mémoire douloureuse à la «?bulle?» des subprimes qui a explosé aux États-Unis en 2007, présente un «?risque systémique pour l’économie?». Entre le transfert du risque au consommateur final dans le cadre de prêts alternatifs, le trading à haute fréquence, l’absence de régulateur institutionnalisé et, par conséquent, l’amplification des actions illicites, les côtés sombres de cet engouement FinTech sont légion.

Et, déjà, certains acteurs déchantent. Alors qu’elle avait pour ambition de devenir «?l’Amazon de la banque en Europe?», la jeune pousse Ipagoo, avec son service bancaire sur smartphone, a suspendu brutalement ses services en août dernier. En cause : des soupçons d’irrégularités liées au cantonnement des fonds clients qui ont conduit le gendarme financier britannique (FCA) à lui interdire toute activité régulée ainsi qu’à exiger de la start-up qu’elle «?rende aux clients leurs avoirs le plus tôt possible?», puisqu’ils ne peuvent de toute manière plus s’en servir.

Arkéa, le numérique au détriment de l’humain

«?Été à risques pour les maillons faibles de la FinTech européenne?», pouvaient dès lors judicieusement titrer Les Échos il y a quelques semaines. Risques, non seulement, pour les jeunes entrepreneurs, mais également pour les acheteurs — les grands noms de la banque ou de l’assurance donc — qui pourraient se perdre en chemin?; mettre des billes dans la FinTech au lieu de financer leurs activités historiques, pour finalement se «?casser la figure?», en cas d’explosion de la «?bulle?» ou du défaut de leurs précieuses start-up.

En Bretagne, la gronde a déjà sonné chez Arkéa, qui cherche à s’émanciper de sa maison-mère (le Crédit Mutuel) tout en investissant dans les jeunes pousses de la finance. «?Quid de l’impact du digital sur nos clients et les salariés???», s’interrogeaient d’ailleurs les syndicalistes de la banque dans l’éditorial du «?numéro estival?» de leur magazine interne. Car la réorientation de leurs investissements par les grands groupes a bel et bien des conséquences directes sur la population. À Locmaria-Plouzané (Finistère), par exemple, les quelque 5?000 habitants n’avaient jusqu’à récemment plus de distributeur automatique de billets, Arkéa ayant choisi de le supprimer…

Depuis 2013, le Crédit Mutuel Arkéa a fermé pas moins de 67 points de vente dans les 4 départements bretons. «?Et ce n’est malheureusement pas fini?», déplorent les syndicalistes, tandis que 12 fermetures au moins sont d’ores et déjà programmées. «?Voir sa banque de proximité fermer n’envoie pas un message positif à la clientèle?», affirment-ils. Ni aux salariés, dont le nombre a chuté, entre 2015 et 2018, de 114. Sur la même période, le groupe s’intéressait davantage à ses investissements qu’à sa masse salariale. Attention, néanmoins, au retour de bâton FinTech.

https://www.surf-finance.com/%E2%80%89fintech%E2%80%89-attention-au-retour-de-baton.html
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« La dictature du changement perpétuel est le nouvel instrument de soumission des salariés »

PAR NOLWENN WEILER – 22 MARS 2018

Les nouvelles méthodes de management se prétendent au service de l’épanouissement des salariés, de leur « savoir être » et de la « réalisation de soi » en entreprise. Danièle Linhart, spécialiste de l’évolution du travail et de l’emploi, démonte ces impostures et montre comment le management moderne s’inscrit dans la lignée du travail à la chaîne théorisé par Taylor et Ford pour toujours mieux asservir les salariés. Objectif : déposséder les travailleurs de leurs savoirs et de toute forme de pouvoir dans l’entreprise. « Le patronat ne veut surtout pas que la contestation massive qui s’est exprimée en 1968 ne se reproduise », explique-t-elle. Entretien.

Basta ! : L’histoire du travail salarié est celle, dîtes-vous, d’une dé-professionnalisation systématique des travailleurs. Taylor a initié cette dynamique avec son « organisation scientifique du travail » au 19ème siècle qui, loin d’être neutre, visait à contrôler les ouvriers. Comment cette dé-professionnalisation a-t-elle été imposée ?

Danièle Linhart [1] : Taylor avait identifié le fait qu’au sein des entreprises, le savoir, c’est aussi le pouvoir. Sa théorie : si on laisse entièrement le savoir aux ouvriers dans les ateliers, alors les employeurs sont privés du pouvoir. Ce qui, bien entendu, serait dommageable à la profitabilité des entreprises. A l’époque, c’est à dire à la fin du 19ème siècle, lorsqu’un capitaliste décide de monter une entreprise, il possède l’argent, mais pas la connaissance ni les savoir-faire. Pour produire, il fait donc appel à des ouvriers et des compagnons qui organisent eux mêmes le travail.

La grande invention organisationnelle de Taylor consiste à ce que la direction puisse réunir – et s’approprier – l’ensemble des connaissances détenues par les ouvriers, les classer, en faire la synthèse, puis en tirer des règles, des process, des prescriptions, des feuilles de route. Bref, in fine, à ce que la direction puisse dire aux ouvriers en quoi consiste leur travail. Il s’agit d’un transfert des savoirs et du pouvoir, des ateliers vers l’employeur, et d’une attaque en règle visant la professionnalisation des métiers.

Quelles sont les conséquences de ce processus ?

Cette réorganisation fait émerger de nouveaux professionnels, des ingénieurs et des techniciens. Ceux-ci ont une masse de connaissances et d’informations à gérer et à organiser, afin de mettre en place des prescriptions de travail, à partir des connaissances scientifiques de l’époque. On a donc pris l’habitude de présenter le taylorisme comme une organisation « scientifique » du travail, sachant qu’à partir du moment où la science décide, ce qui en ressort est nécessairement impartial et neutre.

C’est évidemment faux : l’organisation du travail proposée par Taylor, qui était consultant au service des directions d’entreprises, est profondément idéologique. Elle a systématiquement et sciemment dépossédé les ouvriers de ce qui fonde leur force, leur identité, et leur pouvoir : le métier et ses connaissances. L’objectif est d’installer une emprise sur les ouvriers, de façon à ce qu’ils ne travaillent pas en fonction de leurs valeurs et de leurs intérêts, mais en fonction de ce qui est bon pour les profits de l’entreprise et l’enrichissement de leur employeur.

Il semble pourtant décisif pour Taylor de faire apparaître cette dépossession comme juste et honnête. Henry Ford, qui instaure le travail à la chaîne quelques années plus tard, se présente lui aussi comme un bienfaiteur de l’humanité. Quels arguments avancent-ils pour convaincre l’opinion publique ?

Taylor a toujours prétendu se situer du côté du bien commun : il affirme avoir permis une augmentation de la productivité dont toute la nation américaine a profité, alors même qu’il préconise de répartir les énormes gains de productivité obtenus grâce à son organisation du travail de manière très inégalitaire : 70 % pour l’entreprise – c’est à dire pour les actionnaires – et 30 % pour les salariés. Il dit aussi avoir « démocratisé » le travail, en l’éloignant des syndicats de métiers. Selon lui, grâce aux prescriptions définies par la hiérarchie, n’importe quel paysan pourrait désormais devenir ouvrier. Il assume totalement le fait d’avoir dépossédé les ouvriers de leur travail. Et donc, d’une partie de leur dignité.

Quelques années plus tard, Ford se présente aussi comme un bienfaiteur de l’humanité, alors qu’il propose un système technique et organisationnel encore plus contraignant. Le travail à la chaîne, c’est un pas supplémentaire vers l’asservissement. Les salariés sont non seulement tenus par des prescriptions et feuilles de route produites par la direction et sur lesquelles ils n’ont pas de prise. Ils sont désormais tenus par le rythme – infernal – imposé par la chaîne. Ford disait : « Grâce à moi, tout le monde pourra avoir sa voiture. Je participe à la cohésion sociale, et c’est un progrès formidable. »

Pourtant, chez Ford, les ouvriers étaient exploités encore plus durement qu’au sein des autres usines…

Effectivement. Le rythme y était tel qu’ils étaient très nombreux à jeter leurs outils sur la chaîne, en assurant qu’il était impossible de travailler à de telles cadences. En 1913, plus de 1300 personnes par jour doivent être remplacées ! Le taux de rotation avoisine les 380 %, ce qui est trop élevé pour assurer la production et tirer les profits escomptés. Pour fixer les ouvriers, il décide alors d’augmenter les salaires, jusqu’à ce qu’ils restent. Résultat : les paies sont multipliées par 2,5. Ce qui est énorme pour l’époque, évidemment. Ford présente cette augmentation de salaire, mise en place pour faire supporter des conditions insupportables, comme un véritable progrès social. Il fait croire à un scénario « win win », comme disent les managers aujourd’hui : tout le monde serait gagnant, l’employeur comme les salariés.

Ford pousse la logique d’exploitation plus loin que Taylor. Y compris à l’extérieur de l’atelier. Il se préoccupe d’entretenir et de reproduire « la force de travail » jusque dans la vie quotidienne des ouvriers. Quelle forme cette stratégie prend-t-elle ?

Pour tenir le coup lorsqu’ils travaillent à la chaîne, les ouvriers doivent littéralement mener une vie d’ascète. Henry Ford créé un corps d’inspecteurs chargés d’aller vérifier qu’ils se nourrissent bien, qu’ils dorment correctement, qu’ils ne se dépensent pas inutilement, qu’ils ont un appartement bien aéré… Ford, qui était végétarien, propose même des menus à ses ouvriers. Il exerce une véritable intrusion dans la vie privée, officiellement pour le bien des salariés.

On retrouve le même discours dans le management du 21ème siècle, qui prétend répondre aux aspirations les plus profondes des salariés : « Vous allez être contents de travailler chez nous. Vous verrez, nous allons vous faire grandir. » Il faut avoir du courage, être audacieux. Entretenir son corps. Dans certains bureaux, on peut désormais travailler sur ordinateur tout en marchant, grâce à des tapis roulant ! Les DRH parlent de bienveillance et de bonheur, comme Ford le faisait avec ses inspecteurs. La volonté de prise en charge de la vie des salariés perdure.

Comment se manifeste cette intrusion, dans l’entreprise du 21ème siècle ?

On leur propose par exemple des massages, de la méditation, des activités destinées à créer des relations avec leurs collègues. Certaines entreprises distribuent des bracelets pour que les salariés puissent comptabiliser leurs heures de sommeil. C’est très intrusif. L’organisation moderne du travail est un perfectionnement des méthodes de Taylor et de Ford : les directions s’occupent de tout, tandis que les salariés s’engagent totalement pour leur entreprise, avec l’esprit « libéré ».

Il s’agit toujours de faire croire aux salariés que cela est réalisé l’est pour leur bien. La logique du profit, la rationalité capitaliste deviennent l’opportunité pour les salariés de faire l’expérience de leur dimension spécifiquement humaine. D’ailleurs, les qualités qui leur sont demandées relèvent de dimensions qui vont au delà du professionnel : il s’agit de l’aptitude au bonheur, du besoin de se découvrir, de la capacité à faire confiance, à mobiliser son intuition, son sens de l’adaptation, à faire preuve de caractère, d’audace et de flexibilité…. La notion de « savoir être » est d’ailleurs devenue l’un des axes forts de la nouvelle gestion des salariés préconisée par le Medef.

La dépossession professionnelle mise en place par Taylor plonge les salariés dans un état de soumission et de dépendance hiérarchique inouï pour l’époque, dîtes-vous. Le management contemporain impose-t-il la même chose ?

Avec le taylorisme, les salariés ne peuvent plus travailler sans les préconisations de leurs supérieurs, comme les gammes opératoires, les délais alloués… On retrouve cela dans le management actuel, bien entendu, puisque le travail reste défini par les directions, assistées de cabinet de conseils qui élaborent des procédures, des protocoles, des « bonnes pratiques », des méthodologies, des process… Les salariés n’ont aucune prise sur cette définition. La dictature du changement perpétuel accentue même cette dépendance. Dans toutes les entreprises – que ce soit dans l’industrie ou dans les services – on change régulièrement les logiciels, on recompose les services et départements, on redéfinit les métiers , on organise des déménagements, on externalise, puis on ré-internalise… Ce faisant on rend les connaissances et l’expérience obsolètes. On arrive même à transformer de bons professionnels en apprentis à vie ! Les gens sont perdus.

Les salariés le disent d’ailleurs de manière très explicite : « Je ne sais plus où je suis dans l’organigramme. Je ne sais pas de qui je dépends. » Ils sont totalement déstabilisés, se sentent en permanence sur le fil du rasoir et se rabattent sur les procédures et les méthodes standard, comme sur une bouée de sauvetage. Mais ces procédures et méthodes standard ne sont définies et maîtrisées que par les directions… Les salariés se retrouvent en proie à des doutes terribles. Ils se sentent impuissants, incompétents. Ils sont obligés de mendier des aides techniques. Leur image de soi est altérée. Ils ont peur de la faute, de faire courir des risques à autrui. Ces méthodes les jettent dans une profond sentiment d’insécurité.

Face à cette exigence du changement permanent, les anciens apparaissent comme embarrassants. Vous expliquez que leur expérience est disqualifiée et leur expertise oubliée. Comment cette disqualification se met-elle en place ?

Il faut éviter, quand on est manager, d’avoir des gens capables d’opposer un autre point de vue en s’appuyant sur les connaissances issues d’un métier ou de leur expérience. Si un salarié revendique des connaissances et exige qu’on le laisse faire, c’est un cauchemar pour une direction. Or, les seniors sont les gardiens de l’expérience, ils sont la mémoire du passé. Ça ne colle pas avec l’obligation d’oublier et de changer sans cesse. Il y a donc une véritable disqualification des anciens. On véhicule l’idée qu’ils sont dépassés, et qu’il faut les remplacer.

Il s’agit en fait de déposséder les salariés de leur légitimité à contester et à vouloir peser sur leur travail, sa définition et son organisation. L’attaque contre les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) se situe dans cette même idéologie de dépossession. Ils constituaient en effet des lieux de constitution de savoirs experts opposables au savoir des directions. Les seuls savoirs experts qui doivent désormais « légitimement » exister sont ceux portés par les équipes dirigeantes où se trouvent des gens issus des grandes écoles, secondés par des cabinets de consulting internationaux.

La destruction des collectifs de travail, et le développement de l’individualisation dans la gestion des « ressources humaines », s’inscrivent-ils dans cette même ligne idéologique ?

Évidemment. C’est particulièrement vrai en France où l’individualisation systématique de la gestion des salariés a été enclenchée par le patronat au milieu des années 1970, avec toujours cette excuse officielle de la prise en compte des aspirations profondes des salariés et de leur besoin d’autonomie. Cela s’est fait en réaction aux mobilisations de 1968. Il y a eu du côté du patronat une peur très forte de la capacité de contestation massive qui s’est exprimée en 1968, sous la forme de trois semaines de grève générale avec une occupation des usines. Ce moment a été d’une violence inouï pour les chefs d’entreprise qui ne veulent surtout pas que cela se reproduise.

Depuis, tout a été mis en place pour individualiser la relation entre les entreprises et les salariés, et la relation de chacun à son travail. On a instauré des primes et des augmentations de salaire individualisées, ainsi que des entretiens individuels qui mettent le salarié seul face à son employeur pour définir des objectifs individuels – assiduité, disponibilité, qualité de la coopération avec les autres, attention aux ordres, implication, augmentation de la productivité, et j’en passe…

Il y a une mise en concurrence systématique des salariés entre eux, qui auront en retour tendance à se méfier des autres, considérés comme responsables d’une situation générale défavorable. Sans le recours possible aux autres, sans leur complicité et leur aide, voire en concurrence avec eux, les salariés auront à affronter seuls les pénibilités, la dureté de ce qui se joue au travail. Le travail n’est plus une expérience socialisatrice, il devient une expérience solitaire. L’équation « à travail égal salaire égal » est terminée. À des postes semblables, on retrouve désormais des gens qui ont des formations différentes, des statuts différents, des salaires différents. Il n’y a plus cette logique collective reliée au fait que l’on subit les mêmes conditions.

Vous ajoutez que, en mettant en avant les « aspirations » profondes des salariés, qui iraient supposément dans le même sens que les besoins de l’entreprise, on met de côté l’enjeu politique que recèle le travail. En quoi cette mise de côté, qui a commencé avec l’avènement du taylorisme, persiste-elle aujourd’hui ?

Avec son organisation « scientifique » du travail, Taylor prétendait éradiquer toute une partie de la réalité, à savoir l’existence d’intérêts divergents entre salariés et patrons, l’existence de rapports de force, et la nécessité pour les ouvriers de disposer de contre-pouvoirs afin d’échapper à la domination et de faire valoir leurs intérêts. « Mon but unique, disait-il, est d’en finir avec la lutte stérile qui oppose patron et ouvriers, d’essayer d’en faire des alliés. » On est dans la dictature du consensus.

En France, à partir des années 1980, on s’est mis à parler de consensus dans l’entreprise, avec l’idée de la « pacifier ». Il faut « créer une communauté » et que tout le monde se sente solidaire, rame dans le même sens. Il s’agit là d’une escroquerie idéologique, puisqu’il est évident que les salariés ont des intérêts à défendre, qui divergent de ceux des employeurs : la prise en compte de leur santé, la préservation de leur temps de vie privée, le fait de travailler dans des conditions qui correspondent à leurs valeurs et à leur éthique. Aujourd’hui, on tente d’effacer l’idée même du conflit. Toute idée de controverse, de contradiction, d’ambivalence est désormais disqualifiée. Il s’agit, là encore, de discréditer l’idée même de contestation et d’opposition, voire de la supprimer.

Les nouvelles méthodes de management qui se déversent dans les entreprises ne se fondent pas sur une logique innovante, mais sur une application stricte et exacerbées du taylorisme. Chacun doit faire usage de lui-même selon des prescriptions édictées par les directions. Le « Lean management » [littéralement gestion « maigre », souvent traduit par gestion « au plus juste », ndlr], qui sévit de l’hôpital aux usines, a cette ambition : faire toujours mieux avec moins en utilisant des procédures et des protocoles pensés en dehors de la réalité du travail. On demande un engagement personnel maximal, avec la menace permanente de l’évaluation, dans un contexte où la peur du chômage pèse lourd. Tout cela crée beaucoup de souffrances. Qui persistent durant la vie hors travail, entravant le repos, la détente, les loisirs, en occupant sans cesse l’esprit.

Cet « enfer », dîtes vous, est très difficile à critiquer, notamment à cause de la théorie du changement incessant, pourquoi ?

Dans le management moderne, la critique est par définition archaïque. On vous oppose le fait que vous ne comprenez pas, que tout change sans cesse. Les gens qui n’adhèrent pas sont considérés comme étant dépassés. Ou bien comme des lâches qui n’acceptent pas de se remettre en question, de prendre des risques. D’ailleurs, le modèle militaire est très inspirant pour les managers. Des hauts gradés sont régulièrement invités dans leurs colloques et formations.

Mais l’archaïsme aujourd’hui, à mon sens, réside au contraire dans le modèle de subordination du salariat. Les citoyens ont une ouverture d’esprit, des compétences et un niveau d’information qui se sont démultipliés ces dernières années. Pourtant, aujourd’hui comme hier, dès que vous mettez les pieds dans l’entreprise, vous devenez assujetti d’office à la direction. Les syndicats ne semblent pas vouloir se risquer à remettre en question ce rapport de subordination, parce qu’ils ont intériorisé l’idée que c’est lui qui oblige les employeurs à respecter les droits, les protections et les garanties arrachés au cours des luttes. Mais, devrait-on objecter, si les salariés ont des droits c’est parce qu’ils travaillent, et que cela présente des risques. Il y a là une déconstruction à faire : il ne s’agit pas de remettre en cause le salariat, bien au contraire, mais d’exiger des droits et protections plus forts encore tout en revendiquant la suppression du lien de subordination qui est une entrave insupportable et injustifiée, qui étouffe la qualité, l’efficacité et la créativité du travail.

Propos recueillis par Nolwenn Weiler

[1] Sociologue, auteure de nombreuses enquêtes et ouvrages (dont le dernier, La comédie humaine du travail.
De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale
, est paru en 2015 aux éditions Érès), Danièle Linhart est directrice de recherche au CNRS, professeure à l’université de Paris-Nanterre.

https://www.bastamag.net/La-dictature-du-changement-perpetuel-est-le-nouvel-instrument-de-soumission-des