Etienne Dhuit16 / 09 / 2019

Triste réalité : les banques françaises taillent dans leurs effectifs, tout en faisant régner un climat délétère auprès de leurs collaborateurs. BNP Paribas, Société Générale, Arkéa, LCL… De plus en plus d’établissements piétinent les droits des travailleurs.

Un banquier peut en cacher un autre : derrière l’image du trader millionnaire ou du financier à cigare se dissimule en effet une véritable armée de travailleurs dont les tâches, les salaires et les conditions de travail n’ont que peu à voir avec le délirant train de vie de leurs patrons. Selon la Fédération bancaire française (FBF), le secteur de la banque-assurance employait ainsi pas moins de 362 000 salariés en 2018, représentant près de 2 % de l’emploi privé en France.
 

Ces chiffres flatteurs masquent pourtant une réalité moins avouable : dans sa dernière plaquette, comme le reconnaît benoîtement la FBF, que l’on peut difficilement soupçonner d’anti-capitalisme, « les effectifs globaux (du secteur) sont en baisse (continue) depuis 2011 », date à laquelle le secteur comptait 381 000 salariés. Cette tendance se confirme ces dernières années, les effectifs des banques tricolores ayant fondu de 1 300 postes en 2016 et de 3 400 postes entre 2017 et 2018.

« Hécatombe sociale »

Nos (de plus en plus) chères banques n’ont-elles donc plus les moyens humains de leurs ambitions ? Ce n’est pourtant pas faute d’avoir reçu quantité d’aides fiscales et d’allègements de cotisations de toutes sortes de la part de l’État, donc de la poche des contribuables français. Ainsi, selon une récente évaluation réalisée par la CFDT (qui est loin d’être le plus « rouge » des syndicats), les banquiers et assureurs hexagonaux auraient bénéficié de quelque 13,5 milliard d’euros d’économies entre 2014 et 2018. Le tout sans aucune contrepartie ou presque. Tout en reconnaissant qu’il « n’y a pas eu d’accident industriel majeur », Luc Mathieu, secrétaire général de la CFDT banque et assurance, explique ainsi aux Échos le « sentiment (de) colère » agitant une profession plus déstabilisée que jamais.
 

Et pour cause : en Europe comme en France, une véritable « hécatombe sociale » est à l’œuvre dans le secteur, pour reprendre l’expression du quotidien économique, que l’on ne peut pas davantage que la FBF accuser de marxisme primaire. Les chiffres font froid dans le dos et parlent d’eux-mêmes : 500 suppressions de postes chez BP2S, la filiale de conservation de titres de BNP Paribas, soit une baisse de 20 % de ses effectifs d’ici 2021 ; 1 600 à la Société Générale ; un nombre inconnu de suppressions d’emplois chez HSBC, si la banque devait finalement se séparer de son réseau français ; 1 400 postes en moins chez le banque-assureur belge KBC ; 3 000 chez Barclays ; et même 18 000 postes rayés de la carte par l’allemande Deutsche Bank, soit un cinquième de ses effectifs.

Arkéa court-circuite les élus du personnel

En plus de la fonte programmée des emplois, la détérioration du climat social est monnaie courante dans le secteur. Dans un article publié par Mediapart le 12 septembre dernier, on apprend ainsi que la direction de la banque Arkéa, filiale bretonne du Crédit Mutuel, « court-circuite les élus du personnel », recrutant des « collaborateurs volontaires » pour s’atteler, en lieu et place des instances représentatives des salariés, à l’évaluation des situations de mal-être au travail.
 

Un véritable « système de surveillance des salariés », selon un responsable syndical interrogé par le journal en ligne, se déclarant « ahuri du lancement de cette initiative qui est avant tout une opération de communication interne ». La direction d’Arkéa, qui mène une bataille interne pour convaincre ses collaborateurs du bien-fondé de son projet d’indépendance (qui va, ô surprise, supprimer une soixantaine de postes après le rachat de Socram Banque) « va encore plus se rendre aveugle aux situations de travail (…) dangereuses », conclut le représentant du personnel.

Ras-le-bol généralisé

L’instauration d’un climat pesant au sein des banques ne date pas d’hier. Déjà en 2017, le syndicat Force Ouvrière (FO) de LCL lançait une « alerte sur la santé des salariés », considérant que le « projet de bilan social 2016 » contenait des données « alarmantes » ne faisant que « confirmer » les témoignages « de salariés en détresse et en souffrance », en raison, toujours selon FO, d’un « manque criant d’effectifs » et d’une « non-reconnaissance persistante » du travail accompli, menant même à « plusieurs suicides et tentatives de suicide ».
 

Même son de cloche en 2018 de la part des syndiqués de la Société Générale ayant fait part du « mécontentement grandissant » des salariés et d’une « dégradation (de leurs) conditions de travail », après qu’une enquête interne à la banque en 2016 ne démontre que 26 % de ses employés étaient en état de stress et 22 % en état de « stress élevé » pouvant « avoir un effet sur (leur) santé psychologique et physique ».
 

Un ras-le-bol partagé par les salariés de BNP Paribas, où le nombre de salariés en « sur-stress » (le « niveau à partir duquel le stress est un facteur de risque pour la santé ») a bondi de 27,6 % en 2012 à 32,6 % en 2015. Déjà en 2010, une enquête révélait que 41 % des employés bancaires étaient exposés au « job-strain », qui se caractérise par une forte demande psychologique et une faible latitude décisionnelle, contre 23 % pour l’ensemble des salariés.
 

Selon une autre enquête datant de 2017, 37 % des salariés du secteur estiment leur sécurité de l’emploi menacée et 28 % se jugent incapables de faire le même travail jusqu’à leur retraite. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce qu’en avril dernier, la quasi-totalité des syndicats représentatifs du secteur ait bloqué l’accord de branche sur les « CDI d’opération », créés par les ordonnances Macron de septembre 2017 et qualifiés par l’intersyndicale de « CDI Kleenex ».

https://www.miroirsocial.com/participatif/banque-le-climat-social-au-bord-de-la-surchauffe

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