Dans la guerre interne qui déchire le Crédit Mutuel depuis cinq ans, la bataille de communiqués de presse a repris dès les premiers jours de l’année, après des mois de discrétion à la demande des autorités, lassées de voir deux camps s’éreinter par journaux interposés. Le pic avait été atteint au printemps, après que plus de 300 caisses locales du Crédit Mutuel Arkéa avaient voté à 94% en faveur de l’indépendance en avril dernier. Lundi 7 janvier, à l’issue d’un conseil d’administration, le groupe brestois Arkéa, composé des fédérations de Bretagne et du Sud-Ouest, et de celle, plus petite, du Massif Central (qui ne souhaite pas quitter le giron du Crédit Mutuel), a exprimé son « incompréhension suite à la décision de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM) de rompre de manière brutale et unilatérale les discussions. »
Réplique deux jours plus tard de l’organe central de l’ensemble mutualiste dénonçant « le refus des dirigeants du Crédit Mutuel Arkéa de dialoguer sur la base de l’unité » et de prendre en compte ses exigences formulées en juin dernier.
« Six mois plus tard, le conseil d’administration de la Confédération constate qu’il n’a été saisi d’aucun projet de désaffiliation » fait valoir la CNCM dans un communiqué du 9 janvier. « Si les dirigeants du Crédit Mutuel Arkéa voulaient persister dans leur projet de sécession, il leur appartiendrait de déposer un projet de désaffiliation intégrant les demandes de l’organe central. »
Arkéa a rétorqué dans la journée pour « s’étonner » de cette réaction et rappeler que la demande de désaffiliation n’interviendrait qu’à « l’issue du vote des caisses locales sur les modalités et conséquences » de la sortie, prévu par la suite, « lorsque le dossier complet sera finalisé » avec les superviseurs, autrement dit l’Autorité de contrôle prudentiel et de supervision (ACPR, adossée à la Banque de France) et la Banque centrale européenne (BCE). « C’est un peu comme le Brexit : il faut négocier un accord de retrait, puis le soumettre au vote » analyse un haut fonctionnaire.
Les superviseurs ont demandé de nombreuses précisions sur le schéma envisagé de séparation, dévoilé en juin, notamment sur les parts sociales et la migration des caisses locales, qui transféreraient tous leurs actifs dans des succursales « miroir », filiales d’Arkéa. A l’issue des nombreuses itérations, le document remis à l’ACPR et la BCE est désormais un copieux mémo de 800 pages ! Arkéa espère obtenir un feu vert dans quelques semaines et croit pouvoir « imaginer raisonnablement un vote début 2019 » selon une source proche de la direction.
Un « protocole de séparation » sur la table
Le ton du communiqué du 9 janvier de la Confédération s’avère en réalité bien moins martial que celui employé dans un courrier cinglant adressé le 19 décembre par le président de la Confédération, Nicolas Théry, et le directeur général, Pascal Durand, au gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, et à la directrice générale du Trésor, Odile Renaud-Basso, courrier qui avait fuité dans la presse. Les dirigeants prévenaient que le prochain conseil d’administration de la Confédération allait prendre acte « qu’il convient de clore ce dossier après quatre années de conflit inutile » et affirmaient qu’il était de la responsabilité de la Confédération, mais aussi des autorités de supervision, « de cesser de perdre un temps précieux sur un dossier qui ne repose aujourd’hui sur aucune demande sérieuse. »
Autrement dit, à travers ce courrier également adressé en copie à Bercy, Matignon, l’Elysée, la BCE et Arkéa, la Confédération demandait le soutien des autorités pour tordre le cou au projet de sortie d’Arkéa. En février 2018, il y a près d’un an, Bercy avait publié un communiqué expliquant que le gouvernement ne souhaitait pas modifier la loi existante (le Code monétaire et financier qui régit le statut des groupes mutualistes) et que les pouvoirs publics partageaient les conclusions de la mission de Christian Noyer, affichant sa préférence pour le maintien de l’unité. La Confédération a-t-elle reçu une fin de non-recevoir ou un appel au calme ? Toujours est-il que son communiqué ne parle aucunement de fin des négociations ni de fermeture du dossier.
« Les discussions sont closes » confirme cependant une source proche de la Confédération. Du moins, « cette phase de négociation », sachant que les pouvoirs publics avaient poussé les deux parties au dialogue.
Les deux camps avaient échangé par le biais de leurs avocats respectifs jusqu’à la mi-décembre. Arkéa a transmis le 12 décembre un projet de « protocole de séparation » aux pouvoirs publics, adressé le lendemain à la Confédération, qui a refusé de signer l’engagement de confidentialité, jugé « contraire à l’esprit mutualiste. » Et donc de prendre connaissance des conditions financières de la sortie proposées par Arkéa.
« Les positions sont assez éloignées » reconnaît une source proche des pouvoirs publics, avec un sens certain de la litote.
Indemnités astronomiques
Dans ce courrier, que La Tribune a pu consulter, la Confédération indique qu’elle réclame 1,7 milliard d’euros d’indemnités, un montant astronomique à l’échelle des ressources d’Arkéa (qui a dégagé un produit net bancaire de 2 milliards d’euros et un bénéfice net de 428 millions en 2017), et ce afin « notamment de recréer un réseau en Bretagne et en Aquitaine », de « couvrir le préjudice subi » et de « compenser l’ensemble des coûts de l’opération liés au conflit et à la désaffiliation. »
Cette demande « ne repose sur aucun fondement juridique », constitue « une manœuvre qui s’apparente à une tentative d’extorsion » et est « incompatible avec les exigences prudentielles présentées à la BCE » arguent les dirigeants d’Arkéa dans un courrier en réponse qu’ils ont adressé aux responsables de la Banque de France, du Trésor et de la BCE, et que La Tribune a pu consulter. En coulisses, l’échange d’amabilités a repris de plus belle.
« La Confédération réclame à la fois des indemnités pour le passé et le futur. Elle a intérêt à charger la barque et à obtenir le maximum de contreparties dans ce divorce » observe une source proche du ministère.
Quitte à affaiblir dangereusement le « sécessionniste » ou à faire échouer le projet. Pas très mutualiste dans l’esprit ! L’organe central met notamment en avant « l’exigence légale et réglementaire de couverture nationale » qui lui incomberait. Cette obligation ne figure pas telle quelle dans le Code monétaire et financier, la Confédération la déduisant de sa compétence nationale et d’un jugement du Tribunal administratif de Paris évoquant « une répartition équilibrée des caisses sur l’ensemble du territoire national. » La CNCM nous explique qu’elle en conclut que « toute renonciation de la Confédération de maintenir (ou de reconstituer) le réseau Crédit Mutuel sur l’ensemble du territoire national pourrait être jugée illégale. »
Une interprétation qui donne matière à débat. L’affaire risque de ne pouvoir se résoudre que devant un tribunal. « Il y aura des rendez-vous contentieux. C’est le juge qui tranchera » prédit un haut fonctionnaire au fait du dossier.
« Le ministre ne souhaite pas être l’arbitre d’un conflit de droit privé » martèle-t-on à Bercy et encore moins « politiser le dossier », qui avait suscité la montée au créneau de nombreux élus locaux et parlementaires, y compris LREM, l’an dernier.
Mobilité des clients et pas de plan social
Le montant des indemnités constitue le point de désaccord le plus ardu à résoudre. L’autre pomme de discorde porte sur un éventuel accord de coexistence pacifique : Arkéa – qui s’est engagé à renoncer à la marque Crédit Mutuel et vient de signer un contrat de « naming » de dix ans de l’Arkéa Arena à Bordeaux – a demandé que les marques Crédit Mutuel de Bretagne et Crédit Mutuel du Sud-Ouest ne soient pas utilisées sur ses territoires pendant dix ans ! Un terrain d’entente sur une phase de transition, de 18 mois à 2 ans par exemple, semble cependant possible à trouver.
Les autres différends ne paraissent pas insurmontables. Quand la Confédération demande « la mise en place d’outils permettant le transfert des clients voulant rester au Crédit Mutuel », Arkéa affirme être prêt à discuter sur « la mobilité des clients et sociétaires » – sachant que le dispositif de la loi Macron sur la mobilité bancaire facilite grandement le changement de banque. Mais Arkéa précise qu’il doit s’agir de « concessions réciproques », ce qui impliquerait que cette mobilité soit possible pour les 30 caisses du Massif central (dont 27 ont voté pour Rester Crédit Mutuel en octobre). Or la Confédération avance que « le Crédit Mutuel du Massif central […] n’a rien à faire dans ce débat ».
L’organe central demande aussi un « engagement d’absence de plan social pendant cinq ans », tandis qu’Arkéa, qui emploie près de 10.000 personnes (y compris dans ses filiales comme la banque en ligne Fortuneo, installée en Bretagne), s’est engagée au « maintien des emplois ». Le groupe brestois a d’ailleurs fait de ce point l’un des arguments de son projet d’indépendance, contre un risque présumé de suppressions de postes en cas de maintien au sein du groupe Crédit Mutuel, qui accentuerait la centralisation autour du plus puissant ensemble, l’Alliance Fédérale (ex-CM11-CIC, dont le siège est à Strasbourg). La Confédération exige aussi un engagement sur l’absence de sanction contre les salariés ayant pris position en faveur du maintien au sein du Crédit Mutuel. Elle réclame aussi un « processus démocratique » lors du prochain vote dans chaque caisse, à bulletins secrets, à l’issue d’un débat contradictoire, alors que des manœuvres ont eu lieu pour empêcher des opposants de s’exprimer. Là aussi, Arkéa a promis de faire des « propositions constructives » sur le déroulement de la consultation.
Le chemin vers l’indépendance semble encore semé d’obstacles pour Arkéa mais « pas impossible » analyse une source proche des pouvoirs publics. Le calendrier d’un vote début 2009 paraît en revanche très optimiste.
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