Maxime Nicolle, alias “Fly Rider” du mouvement des Gilets jaunes, incite à retirer l’épargne des banques pour faire plier le gouvernement. Ce phénomène économique bien connu s’appelle un “bank run” ou une “panique bancaire”. Il est très dangereux mais reste improbable.
“On va retourner aux urnes mais en passant par le distributeur”, annonce sur Facebook le 7 janvier Maxime Nicolle, alias “Fly Rider”, l’une des figures les plus médiatiques des Gilets jaunes. Cet appel n’a rien d’anodin et commence à faire tache d’huile sur les réseaux sociaux. L’opération est intitulée le “référendum des percepteurs” et consiste à se rendre simultanément aux distributeurs de billets pour retirer le maximum selon son patrimoine. “Beaucoup de gens vont retirer leur argent des banques. Beaucoup, beaucoup, beaucoup”, prévient-il. L’objectif est clair : déclencher une panique bancaire et contraindre le gouvernement à céder à leurs revendications.
L’initiative a en réalité été lancée la veille par un autre internaute se revendiquant des Gilets jaunes. Toujours sur Facebook, un certain Tahz San déclare : “Pour l’Acte 9, nous allons faire peur à cet État en toute légalité et sans la moindre violence. (…) Nous savons tous que les pouvoirs du pays ne sont pas entre les mains du gouvernement mais dans celles des banques. Si les banques faiblissent, l’État faiblit aussitôt. (…) Samedi nous allons tous voter en retirant notre argent pour lui imposer le RIC (Référendum d’initiative citoyenne) en urgence”. L’opération est prévue samedi 12 janvier à 8 heures. Elle est amenée à être reproduite le mois suivant en cas d’échec.
Les conséquences sont potentiellement très importantes : aucun établissement ne détient les liquidités correspondant aux dépôts de ses clients. Une banque incapable de faire face aux demandes de retraits (qui augmenteraient à mesure que les distributeurs s’assèchent) s’expose à l’impossibilité de payer ses frais de fonctionnement. Le schéma est ensuite classique : si une banque s’écroule, c’est l’ensemble du secteur qui vacille.
Plusieurs références dans l’histoire économique
Ce phénomène de “bank run” s’est produit plusieurs fois dans l’histoire, mais jamais volontairement. Il est souvent la conséquence d’une peur irrationnelle d’épargnants se ruant au guichet pour récupérer leur argent par crainte que leur banque devienne insolvable. On se souvient de septembre 2007, en pleine crise des subprimes, de la panique qui s’était emparée des clients de la banque britannique Northern Rock, après des rumeurs sur son manque de solvabilité.
D’autres exemples jalonnent l’histoire jusqu’en 1797, lorsque les Anglais avaient tenté de retirer leurs économies après des rumeurs annonçant une invasion prochaine des troupes françaises.
Le caractère volontaire du projet des Gilets jaunes n’est pas sans rappeler l’appel porté le 7 décembre 2010 par l’ancien footballeur Éric Cantona. Au cours d’une interview à Presse Océan, publiée deux mois plus tôt, une partie de ses propos avait suscité une grande mobilisation anti-système : “La révolution, aujourd’hui, se fait dans les banques : tu vas à la banque de ton village et tu retires ton argent. Et s’il y avait 20 millions de gens qui retirent leur argent, le système s’écroule. Pas d’armes, pas de sang, rien du tout, à la Spaggiari (ndlr : connu comme l’auteur du casse de la Société générale en 1976) ».
“L’appel du 7 décembre” n’a finalement pas eu l’effet escompté et aucune banque n’a tremblé ce jour-là. Néanmoins, aucun chiffre n’a été communiqué officiellement pour mesurer l’ampleur des retraits.
342 millions d’euros retirés chaque jour en France
“Déclencher un bank run nécessite d’énormes files d’attentes aux guichets, très honnêtement je pense que la force de frappe des Gilets jaunes est trop faible pour déstabiliser le secteur même à la marge”, juge Christopher Dembik, responsable de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank. Selon le Groupement d’intérêt économique des cartes bancaires, une organisation privée réunissant la plupart des établissements financiers français, le montant moyen retiré chaque jour en France est de 342 millions d’euros (chiffres 2017). Pour atteindre un tel montant, cela représente 3.420 euros à retirer pour 100.000 personnes, 1.710 euros pour 200.000 personnes, ou 684 euros pour 500.000 personnes. Pour rappel, 126.000 personnes ont défilé en France en soutien aux Gilets jaunes le 8 décembre, record de la mobilisation pour le ministère de l’Intérieur.
Il faut souligner que la perspective de retirer des grosses sommes est également conditionnée au type de carte bancaire. Les plafonds dépendent des banques, mais ils tournent la plupart du temps entre 300 et 500 euros par jour. Les titulaires de carte premium peuvent espérer retirer autour de 1.500 euros. Ces contraintes limitent les risques, néanmoins les participants au mouvement peuvent augmenter les tensions plus facilement s’ils s’en prennent aux agences du même réseau bancaire.
Il est donc très improbable que l’appel des Gilets jaunes entraîne suffisamment de retraits. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer la peur engendrée chez les épargnants exposés à la rumeur. On constate ce type de comportement chez certains automobilistes lorsqu’ils anticipent une pénurie de carburant avant que celle-ci aie lieu. Ils sont alors nombreux à se ruer dans les stations-service et génèrent eux-mêmes la pénurie tant redoutée.
En dernier recours, les autorités financières disposent d’une panoplie d’outils afin d’éviter la panique totale. “Le plus simple est de limiter le montant de retrait par jour et par compte, comme cela a déjà été fait en Grèce par exemple. Éventuellement cela peut s’accompagner d’un contrôle des capitaux. C’est très efficace pour éviter que les banques ne fassent faillite”, souligne Christopher Dembik de Saxo Bank. En cas de faillite avérée, rappelons que les dépôts sont couverts en cas de défaillance d’un banque de l’Union européenne, à hauteur de 100.000 euros maximum par déposant et par établissement.
Contactées par Capital, la Banque de France et la Fédération bancaire française (FBF) n’ont pas souhaité faire de commentaire.
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