Le Crédit Mutuel dit adieu à son « grand architecte » Michel Lucas

EDOUARD LEDERER Le 04/12 à 19:46
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Michel Lucas, l’emblématique dirigeant du Crédit Mutuel avait passé la main en 2016. Ingénieur de formation, il avait très tôt perçu l’importance de l’informatique dans l’univers bancaire. – SIPA/Romuald Meigneux

Décédé lundi soir, l’emblématique dirigeant du Crédit Mutuel avait passé la main en 2016. Ingénieur de formation, il avait très tôt perçu l’importance de l’informatique dans l’univers bancaire.

Le Crédit Mutuel lui avait déjà dit une première fois au revoir en 2016, dans une ambiance mêlant à la mode mutualiste diaporamas, discours et anecdotes personnelles : devant 6.000 sociétaires et salariés réunis à Strasbourg, le Crédit Mutuel rendait alors hommage dans l’émotion à son emblématique capitaine, Michel Lucas, qui passait la main à la tête du groupe bancaire dont il a mené la transformation.

Cette fois,  c’est bien d’un adieu qu’il s’agit  : le capitaine d’industrie bancaire s’est éteint lundi soir, à 79 ans. « Avec lui disparaît le grand architecte du Crédit Mutuel, celui qui, le premier, a mis la technologie au service de l’humain et conduit une stratégie ambitieuse de diversification et de croissance », ont pointé Nicolas Théry et Daniel Baal, respectivement président et directeur général du Crédit Mutuel Alliance Fédérale (la principale composante du groupe Crédit Mutuel, NDLR) dans un communiqué.

Les multiples passions d’un rugueux banquier

Les hommages se sont succédé mardi, la Confédération Nationale du Crédit Mutuel (CNCM) soulignant « l’engagement constant pour défendre le mutualisme et l’unité du groupe », la Fédération bancaire française (FBF) saluant l’homme « de fort tempérament, courageux et visionnaire », jusqu’au Crédit Mutuel Arkéa – pourtant en guerre contre la CNCM dont Michel Lucas fut le tout-puissant président – reconnaissant en lui « une grande figure de la place bancaire française » ayant « tout au long de son parcours oeuvré au développement des activités dont il avait la charge ».

Signe des multiples vies du rugueux banquier, passionné d’informatique – mais aussi mélomane – Renaud Capuçon s’est aussi exprimé : dans un tweet, le célèbre violoniste a témoigné de sa « reconnaissance et profond respect » pour l’homme qui a accompagné le Festival de Pâques d’Aix.

Au nez et à la barbe de l’establishment

Une unanimité qui aurait peut-être amusé le « vieux lion » du Crédit Mutuel. Après l’un de ses grands faits d’armes – la prise de contrôle du CIC en 1998 au nez et à la barbe des grands banquiers de l’establishment – il déclarait dans « L’Expansion », « c’est le regard des autres qui change, moi je n’ai jamais changé. Je ne suis pas Michel Pébereau (alors président de la BNP, NDLR). Dans deux mois on m’aura oublié ». Difficile de le croire, tant il aura marqué ceux qui auront croisé son chemin. Dans un monde bancaire dirigé par des premiers de classes énarques, issus de l’inspection des finances, son profil d’ingénieur et d’actuaire né en 1939 à Lorient détonnait. Il ne se privait pas d’exfiltrer un à un les dirigeants énarques alors présents au CIC. Le paradoxe est bien sûr que son propre successeur – Nicolas Théry – sera lui aussi un énarque, mais au parcours sans doute plus « sinueux » que certains de ses condisciples.

Surnoms savoureux

Au-delà, l’homme aura collectionné tout au long de sa vie les surnoms savoureux dénotant tout autant la crainte que le respect. « L’immortel Dralucas » promettait en 2005 d’être « encore là à 120 ans », rapporte un portrait paru dans « Le Point ». « Requin blanc » – pour sa chevelure argent et sa capacité à frapper sans qu’on s’y attende – revenait souvent tout comme « Lucatorze » : collectionnant les casquettes, il était incontournable au sein de la fédération et au-delà. Il était encore dernièrement président du conseil de la Banque de Tunisie, administrateur de la BMCE au Maroc ainsi que de la Banque Fédérative du Crédit Mutuel (BFCM).

Censeur du groupe Crédit Mutuel jusqu’en mai dernier, il n’avait pas perdu en influence. « Il était incapable de faire quelque chose à moitié », sourit un bon connaisseur. Il a également dirigé jusqu’en septembre 2017 le groupe de presse régionale EBRA (« L’Est Républicain », « Le Progrès »… ) – détenu depuis 2009 par le Crédit Mutuel. Un groupe qu’il n’avait cessé d’étoffer, parfois au prix de conflits avec les rédactions.

« Se faire virer plusieurs fois par jour »

Au Roi Soleil, le dirigeant a aussi emprunté une forme d’autoritarisme assumée, capable de constituer des équipes soudées et de préparer sa succession bon gré, mal gré. Avec Michel Lucas « on peut se faire virer plusieurs fois dans l’année, et quand même être là au 31 décembre », relevait avec humour Alain Fradin – alors numéro deux du groupe mutualiste – en 2016 lors de l’hommage rendu au « grand patron ».

Sur un point au moins, Michel Lucas fait consensus : en quatre décennies, il aura su transformer une collection de villages bancaires employant moins d’un millier de salariés en un groupement de fédérations couvrant les deux tiers de la France. Pour y parvenir, il aura eu le génie, avant les autres, de comprendre le poids qu’allait prendre l’informatique dans les métiers bancaires.

Ingénieur diplômé de Centrale Lille, il est repéré chez Steria, une SSII, par Théo Braun le patron du Crédit Mutuel d’Alsace alors qu’il essaye d’y vendre sa « camelote », comme il dit. La légende veut qu’il crût alors entrer au Crédit Agricole… C’est bien au Crédit Mutuel qu’il devient dès 1971 « Conseiller du Président ». En charge de la « mécanographie », l’ancêtre de l’informatique, il est aussi l’homme des « missions spéciales », chargé d’aller planter le drapeau Crédit Mutuel ou, en 1977, de redresser les « Dernières Nouvelles d’Alsace ».

Seule ombre au tableau

Au début des années 80, il créera l’informatique du groupe « unifiée et décentralisée » pour ses partisans, cheval de Troie d’un projet centralisateur pour ses opposants du Crédit Mutuel de Bretagne, qui jusqu’à aujourd’hui veille jalousement sur son informatique. Il développera aussi le modèle inventé par Jean Witz, autre pionnier qui en 1971 invente le modèle de bancassurance, à l’oeuvre depuis dans tous les groupes bancaires, mais exécuté à la perfection au Crédit Mutuel ou encore au Crédit Agricole. Les années quatre-vingt-dix sont celles du début de l’expansion pour cette alliance de fédérations dont Strasbourg forme le noyau : entre 1993 et 2012, ce sont progressivement trois, puis cinq, puis dix et enfin onze fédérations qui se trouvent sous une ombrelle commune, sur un total de dix-neuf fédérations au sein du groupe Crédit Mutuel.

Seule ombre au tableau : il ne sera jamais parvenu à trouver un terrain d’entente avec le  groupe Crédit Mutuel Arkéa (qui regroupe les fédérations de Bretagne, du Sud-Ouest, et pour l’heure du Massif Central), l’autre grande branche du Crédit Mutuel. Les « Bretons » souhaitent depuis un an prendre leur indépendance, quitte à abandonner la marque Crédit Mutuel. Le conflit trouve naturellement des racines plus profondes. Après 2016, le départ du très direct Michel Lucas n’aura en rien apaisé la situation.

Edouard Lederer
@EdouardLederer

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