Les retraités de demain vont devoir se serrer la ceinture. Non pas à cause d’un changement paramétrique dans les règles de calculs des pensions ou d’un nouveau report de l’âge de départ. On ne connaît d’ailleurs pas à ce stade le détail de la réforme envisagée par le gouvernement. Mais tout simplement parce que les retraités seront plus nombreux à se partager une enveloppe qui, elle, ne grossira pas. Explications.
Le sujet des retraites peut se lire comme un double choix de répartition. Une question de répartition micro-économique : parmi les retraitées et retraités, qui a droit à quel niveau de pension en fonction de quels critères ? Et une question de répartition macro-économique : la répartition du salaire entre actifs (salaires nets) et retraités (pensions).
Les deux problématiques sont importantes et liées entre elles, notamment par l’âge de la retraite, mais elles peuvent être examinées séparément. Alors que la réforme se prépare, la réponse du gouvernement à la question macro-économique implique un décrochage généralisé du niveau de vie à la retraite.
Le débat sur les retraites publiques est une question de répartition du revenu, et plus précisément de répartition du salaire
Le débat sur les retraites publiques est une question de répartition du revenu, et plus précisément de répartition du salaire. Dans le système capitaliste, l’activité économique a pour contrepartie des salaires et, dans le secteur privé, des profits. Une part de ces salaires est versée aux actifs en emplois, sous forme de salaire net, l’autre part de ce salaire est socialisée et sert à pourvoir à des besoins sociaux (retraites, santé, allocations familiales principalement).
En simplifiant un peu, mais pas trop, on peut concevoir la thématique des retraites de la manière suivante : d’un point de vue macro-économique, quelle part du salaire affecte-t-on aux retraites ? Et sous un angle micro-économique : selon quelles règles calcule-t-on la pension de chacun ?
La question macro-économique concerne la répartition du salaire entre le salaire net et la part affectée aux cotisations retraite. Elle renvoie très directement au niveau moyen des pensions, qui est déterminé par le rapport à un instant donné entre le nombre de retraités, et le montant des cotisations perçu. C’est sans doute la question la plus importante, celle qui sera traitée dans cet article. La question micro-économique est liée au calcul individuel des droits de chacun : est-ce que tout le monde a la même pension ? La pension doit-elle dépendre de toute la carrière ? Seulement du meilleur salaire ? De l’âge… ?
Les différents types de système de retraite
Selon qu’un système de retraite s’attache d’abord à répondre à la question macro-économique ou à la question micro-économique, le résultat n’est pas le même.
En théorie notre système actuel, « par annuités », répond d’abord à la question micro-économique, en inscrivant dans la loi le mode de calcul de la pension individuelle. C’est ce qu’on appelle un « système à prestations définies ». Charge ensuite au gouvernement d’ajuster les ressources en pilotant le taux de cotisation, et éventuellement l’âge, de trouver les ressources suffisantes pour financer le montant de ces prestations. Autrement dit, ce type de système fait passer le niveau des pensions avant la question du financement.
A l’inverse, les systèmes « à points » proposent de prendre les choses dans l’autre sens : en répondant en priorité à la question macro-économique. On définit à l’avance l’enveloppe qui sera consacrée à verser des pensions, en fixant le taux de cotisations ; dans un second temps, on résout la question micro-économique en répartissant cette enveloppe entre les retraités selon des règles définies à l’avance.
Pour une enveloppe donnée, s’il y a plus de retraités, les pensions s’ajusteront à la baisse. Le modèle proposé par le gouvernement s’inscrit dans cette catégorie
Pour une enveloppe donnée, s’il y a plus de retraités, les pensions s’ajusteront à la baisse. C’est ce qu’on appelle un « système à cotisations définies ». Le modèle proposé par le gouvernement s’inscrit dans cette catégorie, ainsi que le système actuel des retraites complémentaires Agirc-Arrco du secteur privé.
La distinction entre prestations définies et cotisations définies est utile pour comprendre un des enjeux du pilotage des retraites : à l’avenir, la part des retraités dans la population va croître. Doit-on réagir à cette évolution en augmentant le montant consacré aux pensions, ou en diminuant le montant moyen des pensions ?
Pourtant, malgré des orientations théoriquement distinctes, le système actuel et le système « à points » proposé par le gouvernement offrent en pratique tous les deux la même réponse, radicale : la baisse du niveau moyen des pensions.
Décrochage du niveau de vie des retraités
En effet, bien qu’à prestations définies, notre système a progressivement été dénaturé, dans le but de faire progressivement décroître le niveau des pensions : les réformes qui se sont succédé depuis 1993 ont durci les conditions pour faire valoir une carrière complète et les pénalités pour celles et ceux à la carrière incomplète (allongements successifs de la durée de cotisation passée de 37,5 à 42 ans). Elles ont reporté l’âge minimum de la retraite, sans résoudre la question du sous-emploi des seniors, révisé à la baisse le calcul du salaire pris en compte pour établir la pension (1re désindexation), et déconnecté le montant des pensions liquidées de l’inflation (2e désindexation).
Le taux de remplacement des pensions se dégrade à mesure que de nouvelles générations arrivent à la retraite, et cette évolution va se poursuivre
De ce fait, depuis plusieurs années, le taux de remplacement des pensions, soit le rapport entre le montant de la pension et le dernier salaire, se dégrade à mesure que de nouvelles générations arrivent à la retraite, et cette évolution va se poursuivre. Ces réformes avaient un but – qu’elles ont atteint -, garantir l’équilibre financier du régime général, sans augmenter les recettes (ou si peu), donc en diminuant le montant moyen des pensions. C’est la raison pour laquelle, l’équilibre financier du système ne requiert pas de réforme urgente (même si cela dépend partiellement de la croissance des années à venir). Notons au passage que les retraites complémentaires obligatoires (Agirc – Arrco), gérées non par l’Etat, mais par les partenaires sociaux ont connu des évolutions comparables, voire plus drastiques, qui ont également fait diminuer le montant des pensions.
Cette baisse programmée des pensions dans le système actuel n’est pas un secret, elle est largement documentée par le Conseil d’orientation des retraites (COR) : le taux de remplacement du salaire net gravite aujourd’hui autour de 75 % (plus faible pour les hauts revenus et plus élevé pour les revenus modestes).
Selon les scénarios, il devrait baisser jusqu’à 60 % ou 50 % du salaire net d’ici 2050. De ce fait, le niveau de vie des ménages de retraités, actuellement équivalent au niveau de vie moyen des ménages d’actifs, deviendrait sensiblement plus faible (20 % à 35 % de moins).
Ce qui menace les jeunes d’aujourd’hui, c’est de vivre à une époque où pour toutes et tous, prendre sa retraite sera synonyme de déclassement
Contrairement à ce que l’on entend parfois, ce qui menace les jeunes d’aujourd’hui ce n’est pas « de ne pas avoir de retraite », mais c’est de vivre à une époque où pour toutes et tous, prendre sa retraite sera synonyme de déclassement. Par exemple, les ménages au niveau de vie médian durant leur vie active pourraient se retrouver à la retraite, parmi les ménages modestes. Charge à ceux qui en ont les moyens, c’est-à-dire les ménages aisés, de s’offrir un complément en misant sur la capitalisation.
La seule question qui reste en suspens est essentiellement de savoir si la dégradation du niveau de vie des retraités sera seulement relative (un décrochage vis-à-vis du niveau de vie des actifs), ou absolue (une baisse absolue du pouvoir d’achat).
Le système proposé « à points » veut emprunter le même chemin de baisse des pensions, en radicalisant ce choix : en effet selon Jean-Paul Delevoye, chargé d’organiser le débat et de préparer la réforme, le passage au nouveau système doit se faire en maintenant la part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) au maximum à 14 points de PIB.
En France, le niveau de vie des ménages de retraités est comparable en moyenne à celui des ménages d’actifs. C’est atypique dans les pays de l’OCDE, où le niveau de vie des retraités est sensiblement plus faible. Ce résultat, produit historique de notre système des retraites, peut être considéré comme un succès, à la fois parce qu’il conduit à une pauvreté des seniors faible, mais également parce qu’il confère aux salariés une garantie de sécurité matérielle pour leur retraite, sans passer par l’épargne.
D’autres chemins possibles
Pour aboutir à ce résultat au début des années 2010, l’expansion de notre système de retraite s’est faite en consacrant régulièrement davantage de ressources au système : ainsi, depuis 1960, la part du PIB consacrée aux retraites a augmenté à peu près au même rythme que la part des seniors dans la population.
Figer la part des pensions dans le PIB revient à faire supporter aux seuls retraités de demain les conséquences du vieillissement
Aussi, figer la part des pensions dans le PIB constitue un choix très radical, en rupture avec ce développement historique : il revient à faire supporter aux seuls retraités de demain (les actives et actifs d’aujourd’hui), les conséquences du vieillissement de la population.
Pourtant d’autres choix plus mesurés sont possibles : par exemple, une hausse du taux de cotisation de l’ordre de 0,3 point par an permettrait de diminuer de moitié le décrochage prévisible des pensions (et encore moins si le taux d’emploi des seniors s’améliore), tout en garantissant aux actives et actifs une progression du salaire net comparable à la croissance. On pourrait ainsi partager les conséquences du vieillissement entre les personnes en activité (un peu plus de cotisations) et les personnes retraitées (hausse des pensions, mais un peu plus faible que la croissance).
Beaucoup de reproches peuvent être formulés à l’encontre de notre système de pensions du côté « micro ». Il accentue par exemple les inégalités du marché du travail entre les personnes justifiant d’une « carrière complète » et celles et ceux ayant connu de longues périodes d’inactivité, en particulier les femmes.
Une hausse du taux de cotisation de l’ordre de 0,3 point par an permettrait de diminuer de moitié le décrochage prévisible des pensions
Il présente aussi quelques avantages : un de ses atouts est qu’il tend à réduire les écarts de revenu constatés sur le marché du travail. Pour une carrière complète, le taux de remplacement des salariés à bas salaire est plus élevé que le taux de remplacement des cadres. De plus, des inquiétudes tout à fait légitimes peuvent être suscitées par un éventuel système « à points » (présenté ici par l’Institut des politiques publiques) qui risque notamment d’accentuer les écarts de pensions entre les hauts et bas salaires, de faire payer très cher les interruptions de carrière, fréquentes notamment chez les femmes ou les périodes de chômage.
Ces enjeux micro-économiques méritent sans doute un débat nourri, et une remise à plat du système 1. Mais si l’on ne se saisit pas frontalement de la question macro-économique, le débat sur les retraites va vite devenir une bataille pour se partager, entre futur.es retraité.e.s, les miettes d’une enveloppe de toute façon insuffisante.
Michaël Zemmour est maître de conférences en économie à l’université de Lille 1. Retrouvez le blog de l’auteur sur Alter&Co, la plateforme de blogs d’Alternatives Economiques.
- 1.Bernard Friot souligne que le choix du système de retraite recouvre plus fondamentalement des enjeux de subversion ou d’acceptation de la logique capitaliste (à lire par exemple dans son livre récent « vaincre Macron », édition La Dispute)
0 comments
Write a comment