BlaBlaCar à bout de souffle, Giroptic en faillite, Sigfox en panne de croissance, Criteo chahuté en Bourse… Les stars de la French Tech peinent à transformer l’essai et à générer du chiffre d’affaires.
A-t-on vu la French Tech plus belle qu’elle n’était? Depuis quelques mois, les mauvaises nouvelles semblent s’accumuler sur les stars du secteur. Comme Giroptic, la start-up lilloise qui avait développé une caméra 360°, qui a annoncé début mars qu’elle était contrainte de mettre la clé sous la porte. Withings ensuite, le fabricant d’objets connectés (balances, montres…) qui après son rachat en 2016 par Nokia ne serait plus, de l’aveu même de la directrice stratégique, une priorité pour le groupe finlandais.
Ou encore Criteo qui a vu son cours de Bourse divisé par deux en un an avec l’annonce d’Apple de restreindre les cookies sur son navigateur internet. Un gros coup dur pour la start-up française spécialisée dans le ciblage publicitaire et qui craint une chute de 22% de son chiffre d’affaires pour 2018.
Situation moins tendue du côté de Sigfox mais la start-up française spécialisée dans les réseaux mobiles bas débit pour l’internet des objets semblent avoir perdu la partie face au réseau concurrent LoRa qui se déploie beaucoup plus vite. La société dont le chiffre d’affaires croit moins vite qu’escompté (50 millions au lieu de 60 attendus en 2017) fait face à une fuite de cadres depuis quelques mois comme le révèle le site LightReading dont l’ex-numéro 2 Xavier Drilhon.
BlaBlaCar à l’arrêt
Et surtout il y a le cas de BlaBlaCar. La star de le French Tech naguère portée aux nues montre de sérieux signes d’essoufflement. Une enquête de Libération est venue la semaine dernière confirmer les signaux faibles peu encourageants qui émanaient de la société depuis quelques mois. La « Licorne » française continue de perdre de l’argent (rien d’affolant pour une start-up) mais plus ennuyeux elle peine à gagner de nouveaux marchés et refuse toujours de communiquer son chiffre d’affaires (ce qui n’est jamais bon signe). Concurrencée par les cars Macrons et les lignes de train low-cost, BlaBlaCar assure ne plus progresser en France. La société a tenté de réagir en nommant un nouveau directeur opérationnel Nicolas Brusson à la place du fondateur Frédéric Mazzella, a revu l’algorithme vieillissant de son site et a lancé une application pour le covoiturage quotidien (BlaBlaLines).
Mais que se passe-t-il dans la French Tech? Si chacun des cas est différent, il y a tout de même des leçons à tirer de ces écueils. « C’est un mal très français, analyse un observateur du secteur. Nous avons tendance à porter au pinacle des sociétés avant qu’elles ne fassent leurs preuves sur la foi de levées de fonds spectaculaires. Or le juge de paie c’est le chiffre d’affaires et c’est là que le bât blesse pour les sociétés françaises. » Il est vrai que de Giroptic à Withings en passant par Sigfox et BlaBlaCar, les stars françaises évoluent souvent sur des niches. Et si certaines trouvent leur public, les perspectives de croissance sont le plus souvent assez faibles.
C’est ce qu’estime Pierre Cesarini, le patron de Claranova (ex-Avanquest). Ce Français qui a travaillé chez Apple dans la division Mac à la fin des années 90 a repris la société de logiciel française et l’a relancé en lançant FreePrints une application smartphone pour imprimer ses photos. Résultat: trois ans après son lancement, l’appli va réaliser 100 millions d’euros de chiffre d’affaires.
« L’objectif d’une Licorne? Chasser un milliard de chiffre d’affaires »
« C’est une idée toute simple mais bien réalisée et qui concerne tout le monde car tout le monde a des photos dans son smartphone, explique Pierre Cesarini. Or quand vous regardez les sociétés françaises de la tech, vous ne voyez pas trop le potentiel. Prenez BlaBlaCar par exemple, ils ont un bon positionnement marketing mais on ne les voit pas gagner beaucoup d’argent un jour. Les perspectives de croissance sont objectivement faibles et ils sont concurrencés par le bus et le train. L’objectif d’une licorne c’est à terme que ça chasse 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. »
L’entrepreneur fait la même analyse concernant Withings ou Devialet, la société spécialisée dans les enceintes connectées haut de gamme. « Withings c’est un concept sympa, ils font de beaux objets mais il n’y a pas de public finalement pour leurs balances et leurs montres connectés. Et ça n’a pas plus marché chez Nokia. C’est un marché très concurrentiel où les asiatiques sont très efficaces. Idem pour Devialet: très beau produit mais aussi très cher (comptez 1.500 pour le modèle d’entrée de gamme) et en face des gens comme Apple et Amazon qui ont des moyens colossaux. »
C’est d’ailleurs ce qui a plombé Parrot. Le pionnier français des drones s’est complètement fait déborder par les Chinois (notamment le géant DJI) sur le drone grand public. Il cherche depuis à se relancer sur le drone professionnel, la stratégie de la dernière chance pour une société qui a perdu 38 millions d’euros en 2017 après une perte de 138 millions en 2016.
La start-up nation doit vendre des produits
Or si la France veut s’enorgueillir d’être une « start-up nation », il faudra bien que ses fleurons réussissent un jour à vendre des produits. D’ailleurs, de passage au CES de Las Vegas en janvier, Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au numérique, ne disait pas autre chose: « Quand on voit la balance commerciale de la France, on voit qu’il y a un très grand enjeu avec l’export et que cela va passer par les start-up. »
Pourtant il ne s’agit pas de noircir le tableau non plus. Des sociétés comme vente-privée.com ou même Criteo jusqu’à présent ont réussi atteindre et largement dépasser le milliard d’euros de revenu. Pour autant, elles n’ont pas réussi à devenir des géants mondiaux au même titre qu’un Amazon, un Facebook voire un Spotify. « L’autre problème des sociétés françaises c’est qu’une fois qu’elles ont réussi, il y a une sorte de gentrification qui se met en place et elles innovent moins, elles ne pivotent plus pour aller chercher de nouveaux marchés, analyse un observateur du secteur. Tous les gros ont réussi à se diversifier et à se réinventer en étant multi-activités, or pour vraiment progresser il faut se diversifier. »
Comme Amazon par exemple qui partant de la vente de livre a créé une très lucrative activité dans le cloud ou Google qui après le moteur de recherche s’est lancé dans la vidéo avec YouTube ou le mobile avec Android.
La solution? S’associer aux grands groupes
« C’est le modèle de groupe technologique, il faut se positionner sur tous les secteurs, explique Pierre Cesarini. Mais c’est très difficile à réaliser car les actionnaires et les venture n’aiment pas ça et il faut une grande capacité à investir et à cramer de l’argent comme Uber et Amazon. Or faire ça au niveau français, c’est évidemment impossible. »
Le mieux finalement pour ses start-up françaises c’est peut-être au final de s’associer à de grands groupes. « Le modèle même de l’économie numérique n’a pas vocation à durer tel quel dans le temps, les entreprises doivent se réinventer tous les trois ans, analyse Sèverin Naudet de Tilder et ancien vice-président de Dailymotion. On arrive à un stade où on comprend que les entreprises de la nouvelle économie qui venaient disrupter d’anciens modèles devront désormais s’associer aux grandes entreprises pour avancer ensemble. » C’est ce qu’a par exemple fait Chauffeur Privé en acceptant l’offre de rachat par Daimler ou encore Amazon en s’emparant des magasins Wholefoods ou en s’associant avec Monoprix.
Frédéric BIANCHI
Journaliste
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