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Crédit Mutuel Arkéa a annoncé jeudi soir un bénéfice net en hausse de 27,3% à 428 millions d’euros en 2017. Une « année de tous les records » et le meilleur ratio de solvabilité parmi les banques françaises. Mercredi, au cours d’un « Dîner Celtique » devant les Bretons de Paris, Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal, président et directeur général de CM Arkéa, ont réaffirmé leur « détermination » à se séparer de la Confédération du Crédit Mutuel. Cette dernière menace les dirigeants bretons de « révocation », alors que les caisses locales actionnaires du groupe vont devoir choisir ce printemps entre les deux options sur la table : l’intégration ou l’indépendance.

Carton plein en 2017 pour Crédit Mutuel Arkéa (CMA) qui a annoncé jeudi avoir dégagé en 2017 un bénéfice net en hausse de 27,3% à 428 millions d’euros, se félicitant d’une « année de tous les records ». Les revenus du CMA, qui regroupe les fédérations du Crédit Mutuel de Bretagne, du Sud-Ouest et du Massif central, ainsi qu’une trentaine de filiales spécialisées, sont en hausse de 12,8% à 2,09 milliards d’euros. La marge financière ressort en forte hausse de 16%, alors que le groupe basé près de Brest a passé le cap en 2017 des 10.000 salariés.

L’année 2017 a été « une année extrêmement accomplie », s’est félicité Jean-Pierre Denis, président de CMA, lors d’une conférence de presse, évoquant une « année de tous les records ». Le groupe a engrangé plus de 176.000 nouveaux clients (+4,3%) pour atteindre un portefeuille de 4,24 millions de clients, grâce notamment aux activités de banque en ligne et d’assurance. Le coût du risque, soit les provisions notamment passées pour faire face aux risques d’impayés sur les crédits consentis, s’est replié nettement de 48,9% à 53 millions d’euros (-30% à périmètre comparable). Le poids des créances douteuses et litigieuses est resté bas à 2,9% (3,4% en 2016), alors que le taux de provisionnement de ces créances a atteint un niveau de 57,4%. « Non seulement il y a peu de risques (…) mais ces risques sont précisément bien couverts », a souligné Jean-Pierre Denis.

En termes de solvabilité, le groupe affiche un ratio de fonds propres « durs » (apports des actionnaires et bénéfices mis en réserve rapportés aux crédits consentis) de 18,5%, soit un niveau « très largement supérieur aux exigences réglementaires », a souligné Arkéa. « Au-delà des spéculations de la Confédération sur l’avenir du groupe Arkea et sa capacité à voler de ses propres ailes, je pense qu’il faut s’en tenir aux chiffres. On aura du mal à expliquer au vu des ratios (…) qui sont les nôtres que le groupe Arkea n’a pas tout d’un groupe indépendant », a souligné Jean-Pierre Denis, évoquant le conflit l’opposant à son organe central, la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM).

Un « Diner Celtique » bien arrosé pour la Confédération

Invités ce mercredi soir à un dîner privé organisé par l’association « Les dîners celtiques » (qui regroupe les leaders économiques bretons à Paris), les deux dirigeants de Crédit Mutuel Arkéa ont fait assaut, devant un public choisi et acquis, d’arguments pour justifier leur sécession. En présence de quelques journalistes, dont La Tribune, Jean-Pierre Denis a été clair : « Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes »« s’il n’y avait pas cette volonté de centralisation ». Selon l’ex-secrétaire général adjoint de Jacques Chirac à l’Elysée, breton du Nord, « le schéma de centralisation est une option, qui a ses vertus sans doute, mais aussi de lourdes conséquences en emplois de proximité ». Et elle va à l’encontre de la « culture entrepreneuriale du groupe », qui s’est développé seul, comme une ETI, poursuit Ronan le Moal, DG d’Arkéa. L’autre option, que les dirigeants défendent farouchement avec le soutien de presque toute la Bretagne, c’est « de sortir de la confédération, mais elle a pour conséquence de perdre la marque Crédit Mutuel ». Mais, selon Jean-Pierre Denis, « perdre une marque aussi belle soit-elle, ne vaut pas notre liberté d’entreprendre ».

« Avis de tempête » sur la Bretagne

Selon Jean-Pierre Denis, les résultats d’Arkéa font la démonstration que le groupe a « tous les attributs d’une banque de plein exercice ». Même Danièle Nouy, qui supervise les banques européennes, a reconnu que « le groupe Crédit Mutuel Arkéa présente le meilleur ratio de solvabilité de toutes les banques françaises », se félicite Jean-Pierre Denis. Arkéa « n’a pas de BFI, est peu exposé aux risques de marché, a une activité diversifié dans toutes les dimensions de la banque et de l’assurance-vie et de personne, et affiche un modèle stable ». Alors qu’une pétition de soutien intitulée « Avis de tempête » a recueilli plus de 100.000 signatures (bretonnes principalement) en faveur de l’indépendance de CM Arkéa, l’affaire prend une tournure politique.

« Nous bretons sommes à la fois têtus et déterminés »

Interrogé en marge du dîner pour savoir ce que veut vraiment Nicolas Théry, président de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel et de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel-CM11CM11-CIC, Jean-Pierre Denis répond sans ambages : « Il m’a proposé la vice-présidence de la Confédération maintes fois, mais il ne comprend pas que ce n’est pas le problème. Il pense qu’il peut réussir là où Michel Lucas [ancien président particulièrement bouillant du Crédit Mutuel] à échoué, mettre la main sur le Crédit Mutuel de Bretagne, mais il en train de se rendre compte que, nous Bretons sommes à la fois têtus et déterminés ».

Pour s’autodéterminer justement, les 331 caisses actionnaires du Crédit Mutuel Arkea vont être appelés dans les prochaines semaines, entre mars et avril, à choisir leur destin : soit rejoindre la confédération et quitter Arkéa, soit choisir la voie de la séparation, la perte du nom Crédit Mutuel et l’indépendance, souligne le dirigeant. Selon Jean-Pierre Denis, l’intégration serait une « aventure » socialement catastrophique avec le risque de « perdre 3.500 emplois directs sur 10.000 à Brest » et même 2.500 supplémentaires parmi les emplois indirects générés par Arkéa du fait de sa forte implantation locale. « Nous avons 380 implantations physiques en Bretagne, 30 filiales dont certaines opèrent au-delà des frontières de la Bretagne… Nous sommes aussi le premier investisseur privé dans les PME et ETI bretonnes, nous finançons 40% des installations de jeunes agriculteurs en Bretagne, ce qui fait de nous l’autre banque verte… », souligne-t-il.

« Une vieille façon de faire de la banque »

Quand on l’interroge sur les raisons d’un divorce, alors que les deux groupes CM-Arkéa et CM11-CIC se sont très bien développés au sein de la Confédération, Jean-Pierre Denis précise que cela fait depuis 2011 que son groupe « résiste aux velléïtés centralisatrice » de son concurrent et que celles-ci sont de plus en plus pressantes alors que les deux banques n’ont « pas de lien d’affaires ensemble, sont en concurrence sur l’ensemble de leurs métiers ».

« En dehors de la marque, nous ne partageons rien. Et on nous demande, parfois avec condescendance, de rendre des comptes à un concurrent qui détient tous les postes de décision au sein de l’organisme central », explique-t-il. Pour Jean-Pierre Denis, le modèle centralisé est « une vieille façon de faire de la banque ». La banque géante est selon lui une vue du passé. L’heure est « à la proximité avec les clients », d’autant, souligne Ronan le Moal, le directeur général, Breton du Sud et artisan de la transformation digitale d’Arkéa, que « le numérique rebat les cartes et donne un accès direct au monde ».

L’agilité, c’est pour cela que les lémuriens ont survécu aux dinosaures

Dans ce monde du digital, qui permet « de créer très vite de nouveaux acteurs », comme Fortuneo -la première Fintech française, créée par Arkea avant que le mot Fintech n’existe- ou Leetchi, la « cagnotte » des étudiants racheté à sa fondatrice et aujourd’hui présent dans le paiement dans plus de 20 pays, ce qui compte c’est la possibilité de « conquérir très vite de nouveaux clients », explique Ronan Le Moal : « Aujourd’hui, l’important pour une banque, c’est d’avoir un ancrage territorial puissant, une culture technologique forte -il se targue d’avoir été le premier en Europe à permettra à ses clients de passer des ordres de bourse sur internet – et une agilité ». Par exemple, Arkéa travaille en marque blanche pour apporter ses technologies à des partenaires, comme Amazon ou System U. « L’agilité, dit-il, c’est essentiel, c’est pour cela que les lémuriens ont survécu aux dinosaures »… Message à peine voilé vers les projets centralisateurs de son concurrent de l’Est…

« Nous irons jusqu’au bout »

« Si le mandat donné par nos caisses actionnaires est la séparation, reprend Jean-Pierre Denis, je peux vous assurer que nous irons jusqu’au bout ». Selon lui, « les pouvoirs publics sont en train de se rendre compte » de la détermination des dirigeants et du soutien qui leur est apporté au niveau local par de très nombreux chefs d’entreprise bretons. D’ailleurs, poursuit-il, « les autorités ont reconnu que la séparation pouvait s’envisager sans passer par la loi. On nous disait le contraire avant. Et les mêmes semblent avoir changé d’avis ». Il faut dire que l’idée de passer par le Parlement fait craindre une contagion vers d’autres réseaux mutualistes tentés par le précédent Arkéa. Mais, souligne Jean-Pierre Denis, en fait « nous sommes unique en notre genre, car tous les autres réseaux, que ce soit chez Casa (Crédit Agricole) ou BPCE (Banques Populaires-Caisses d’épargne) sont déjà intégrés »

Arkéa Le Gall ou le Goff, même combat

Le travail de sécession a déjà commencé puisque les autorités bancaires « sont en train de mener les audits internes » chez CM Arkea pour constater si le groupe a vraiment la possibilité de se séparer définitivement de la confédération du Crédit Mutuel.
De leur côté, les dirigeants d’Arkea travaillent déjà sur une nouvelle marque. « Pour les clients, cela ne changera rien : l’indépendance, c’est le statu quo. C’est l’intégration qui serait le changement, en termes de produits financiers et de relation client », assure Jean-Pierre Denis. Il n’a pas dévoilé le nouveau nom de sa banque post-sécession, mais il assure que « la marque exprimera clairement notre ancrage territorial, de Bretagne donc, et notre identité coopérative : Le Gall ou le Goff, quelle que soit la nouvelle appellation, nous resteront encore très longtemps dans le cœur des Bretons le Crédit mutuel de Bretagne », conclut-il, non sans panache. Va-t-on inévitablement vers un divorce par consentement… plus ou moins « mutuel » ? A entendre la détermination des dirigeants du CM Arkea, on voit mal comment un destin commun est encore possible avec Nicolas Théry et le CM11-CIC. Mais l’affaire a été et pourrait encore être sanglante. « Les guerres civiles sont toujours les plus meurtrières », commentait un participant, breton, au Diner Celtique…

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