Depuis trois ans, Jürgen Schaller sillonne la campagne bavaroise au volant de son camion-banque de la caisse d’épargne locale. L’objectif : ne pas délaisser une clientèle âgée qui fait les frais de la fermeture des agences en zone rurale. En France, le Crédit Agricole dispose aussi d’une flotte d’agences roulantes.
Dans son fief rural de Franconie, une région située au Nord de la Bavière, la « Sparkasse » de Kronach-Kulmbach a lancé en 2015 un concept d’agence itinérante, à rebours de la numérisation du secteur, dans un contexte où les clients changent leurs habitudes et où les taux bas bousculent la rentabilité. Objectif: maintenir du service de proximité là où les agences frappées du « S » rouge ont baissé le rideau, soit six d’un coup l’an dernier dans cette région vallonnée, et onze à ce jour.
Jürgen Schaller, ancien directeur de plusieurs agences du coin, y a vu l’occasion de « faire autre chose en gardant le contact avec la clientèle », raconte-t-il, pull en V gris et cravate vermillon. Dans son bureau de 7 m2 à l’arrière de son camion, il reçoit au calme des clients de passage.
Ce mardi frisquet au coeur de l’hiver, l’imposant semi-remorque blanc et rouge s’est immobilisé pour une heure et demie sur la place face à l’église du village de Tschirn, aux maisons carrelées d’ardoise.
Un guichet automatique à l’arrière du camion
« Le bus de la Sparkasse, c’est très bien pour faire des virements, tout ce dont on a besoin », sourit Maria Neubauer, une septuagénaire qui a pris place dans le véhicule. « On est contents, surtout qu’on n’a pas de voiture » pour se rendre dans un autre village, renchérit Maria Greiner, devant l’automate lui débitant un extrait de compte.
Après une période d’acclimatation, les usagers apprécient cette « banque mobile » d’un nouveau type, qui remplit beaucoup de caractéristiques d’une agence normale. Sur le flanc arrière du camion, un guichet automatique permet de retirer et de déposer des espèces. Jürgen Schaller n’y a pas accès et n’exécute du reste aucune opération avec de l’argent liquide, pour des raisons de sécurité.
La tournée est organisée chaque semaine du lundi au jeudi. « Le vendredi, j’entretiens le camion, c’est moi son gardien! », sourit Jürgen Schaller, qui a dû passer le permis poids-lourd pour devenir chauffeur-banquier. Il parcourt plus de 20.000 kilomètres par an. Aucun accident ni agression à déplorer.
Un enjeu d’image plus qu’une stratégie commerciale
En moyenne, une vingtaine de personnes grimpent dans son véhicule à chaque village visité, où il reste environ une heure et demie. L’opération permet de nouer « 12.000 contacts clients par an, surtout des commerçants locaux et des personnes âgées », explique Steffen Haberzettl, directeur commercial à la Sparkasse Kronach-Kulmbach.
Comparé aux 8.800 connexions par jour du site en ligne de la banque, le camion-banque itinérant reste toutefois un enjeu d’image plus qu’une stratégie commerciale. « Nous avons sciemment investi dans le service pour nos clients, mais il est certain que l’agence mobile ne couvre pas ses coûts », reconnaît Steffen Haberzettl.
La Sparkasse appartenant au secteur public, la décision de lancer un camion-banque a été prise par son conseil d’administration peuplé d’élus locaux, pour qui il serait peu pensable de laisser s’installer des déserts bancaires dans les campagnes.
La caisse d’épargne de Kronach-Kulmbach ne fait pas exception: au sein des 400 caisses formant le premier secteur bancaire en Allemagne, 66 « unités itinérantes » sont actives à ce jour, se résumant parfois à la fourniture d’argent liquide à domicile, selon les données de la fédération DSGV, alors que le réseau a vu 2.000 agences disparaître en cinq ans.
Un modèle aussi adopté en France par le Crédit Agricole
À l’échelle du pays et de toutes les caisses d’épargne, coopératives et banques privées, ce sont plus de 10.000 agences qui ont fermé en quinze ans, passant à 28.000, selon une étude de la banque publique KfW. Au prorata du nombre d’habitants, le réseau bancaire allemand est désormais moins dense que ceux de la France et de l’Espagne, et même en-deçà de la moyenne européenne, souligne cette étude.
En France aussi, le camion-banque existe, avec le Crédit Agricole qui a lancé les siens sur les routes de plusieurs régions en zone rurale. Dans toute l’Europe, la tendance à la fermeture des points fixes devrait se poursuivre, selon des experts. « La rapidité avec laquelle cela se produira est peu prévisible et, surtout, dépendra de la façon dont les banques parviendront à maintenir l’agence comme canal pertinent pour leurs clients », estime Thomas Schnarr, associé au sein du cabinet de conseil Oliver Wyman.
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