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Pas d’actionnaires mais des sociétaires, l’intérêt général et l’ancrage territorial au coeur de leur modèle : les banques coopératives et les mutuelles d’assurances partagent un modèle de gouvernance et des valeurs qui les distinguent sans les empêcher de dominer leur marché. Exemple avec le cas de la Maif.

L’entreprise n’est pas synonyme de capitalisme, d’obsession du profit et du court terme, de maximisation des dividendes versés aux actionnaires. Un modèle d’entreprise ancien, bien enraciné dans l’économie française, illustre ce principe : le mutualisme. Les banques coopératives – des caisses du Crédit Agricole à celles du Crédit Mutuel, en passant par les Caisses d’Épargne et Banque Populaire – représentent les deux tiers des encours de dépôts et des crédits aux particuliers en France, la part de marché la plus élevée en Europe. Dans l’assurance des biens et des personnes, les mutuelles dominent également (Covéa, Groupama, Macif, etc.).

Le mouvement mutualiste plonge ses racines dans des cultures très diverses, ouvrières et religieuses, et des courants de pensée parfois aux antipodes les uns des autres, des traditions des confréries au modèle chrétien-social de Frédéric-Guillaume Raiffeisen, l’inspirateur des banques coopératives agricoles, de l’école libérale pour promouvoir le crédit au communautarisme de Proudhon et de Saint-Simon ainsi qu’aux « doctrines solidaristes », comme celles de Léon Bourgeois, prônant une voie médiane entre capitalisme et socialisme, libéralisme et étatisme. Si « ces entreprises ont des histoires et des statuts très variés », elles ont « en commun un modèle de service et de développement original, caractérisé par leur caractère non lucratif, une gouvernance démocratique, assise sur le sociétariat et le principe « un homme une voix », un ancrage territorial, et des valeurs de long terme orientée vers la satisfaction des adhérents et des clients plutôt que vers la maximisation de la rentabilité », relève l’Institut Montaigne dans un rapport de décembre 2014 intitulé « Concilier démocratie et efficacité économique : l’exemple mutualiste. »

Intérêt général peut rimer avec performance économique

Cependant, mutualisme ne signifie pas absence d’objectifs commerciaux et de performance économique, indispensable pour garantir la solidité et la pérennité de l’entreprise.

« Les mutuelles sont par essence, par nature, des entreprises à sens très fort. Elles sont la preuve qu’une entreprise n’a pas pour seul objet le business mais vise avant tout la qualité du service, le bien commun et l’intérêt général », nous confie Dominique Mahé, le président du groupe Maif.

« La création même de la Maif en 1934 était politique : des hussards noirs de la République proposaient aux instituteurs de s’assurer entre eux pour se libérer du capitalisme », rappelle cet ex-prof d’histoire-géo qui préside depuis 2014 « l’assureur militant », baptisé à l’origine « Mutuelle d’assurance automobile des instituteurs de France ».

« On ne rejoint pas une mutuelle par strict intérêt consumériste mais pour s’assurer au sein d’une communauté d’engagement. C’est le fondement même de la mutualité », observe Dominique Mahé.

Pas de dividende reversé

Comme les autres sociétés d’assurance mutuelle, la Maif n’a « ni capital social ni actionnaires. Elle exerce son activité au seul bénéfice de ses sociétaires, auxquels elle garantit la qualité et la pérennité de sa protection et de ses services », met en avant le groupe. Conséquence : pas de dividende reversé mais la mise en réserve des résultats bénéficiaires. Ceci dit, les groupes bancaires coopératifs font souvent cohabiter structures mutualistes et capitalistes (Crédit Agricole S.A. est cotée en Bourse et verse un dividende, dont plus de la moitié revient aux caisses régionales, BPCE est actionnaire de Natixis, également cotée) et ont élargi leur activité tout comme leur clientèle bien au-delà de leur niche initiale, voire de leur mission (trading actions, télécoms, etc.).

Dans le débat actuel sur l’élargissement de l’objet social des entreprises, les mutuelles ont évidemment leur mot à dire et leurs convictions. Pascal Demurger, le directeur général de la Maif, par ailleurs président de l’Association des assureurs mutualistes (AAM), fait valoir que « des mutuelles comme la Maif ont montré de longue date qu’une entreprise pouvait s’engager en faveur de l’intérêt collectif. L’objectif derrière l’idée « d’entreprise à mission », c’est de donner les moyens à toutes celles qui le souhaitent de contribuer au bien commun, quelle qu’en soit la forme juridique. »

Il nous explique qu’il « ne [croit] pas à un mécanisme qui serait obligatoire et uniforme. La contrainte seule ne suffira pas à créer la dynamique d’engagement dont nous avons besoin. » Il estime cependant que « quelle qu’en soit l’issue, le débat sur l’objet social des entreprises a permis de mettre enfin la question de leur contribution à la société au centre des débats.»

Risque de banalisation des valeurs mutualistes

Si le principe des entreprises « à mission » colle bien au modèle des mutuelles, « les entreprises de l’univers de l’économie sociale et solidaire n’ont pas attendu un projet de loi pour s’engager dans cette voie, celle d’un juste partage de la valeur au service de l’intérêt des parties prenantes », commente Dominique Mahé.

En coulisses, dans le monde mutualiste, certains s’inquiètent cependant d’une forme de « banalisation » de leur modèle si l’entreprise à mission venait à se généraliser. Un risque déjà pointé dans le rapport de l’Institut Montaigne qui observait il y a trois ans que « la vraie menace » est le « risque de banalisation des valeurs mutualistes » en citant « le développement de la responsabilité sociale des entreprises portée activement par les entreprises « capitalistes », [le] relâchement du lien géographique sous l’effet d’Internet, [les] attentes nouvelles des clientèles plus jeunes et plus individualistes. »

Delphine Cuny

@DelphineCuny

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