L’Autorité de la concurrence ne contribue ni à clarifier, ni à apaiser les débats dans la bataille qui fait rage au sein du Crédit Mutuel.
Dans un mémoire dont Challenges a eu copie, l’Autorité de la concurrence juge que le Crédit Mutuel Arkéa et son frère ennemi, le CM11-CIC, sont de véritables concurrents
Dans la guerre fratricide qui fait rage au sein du Crédit Mutuel, l’Autorité de la concurrence ne contribue ni à clarifier, ni à apaiser les débats. Elle a rédigé deux documents juridiques qui nourrissent la confusion ambiante. Dernier en date: un mémoire daté du 3 janvier signé par la présidente de cette autorité indépendante, Isabelle de Silva, et dont Challenges a eu copie. Selon ce document de 13 pages et 79 alinéas, il ne fait aucun doute que le Crédit Mutuel Arkéa (CMA), présidé par Jean-Pierre Denis, et son frère ennemi, le CM11-CIC, présidé par Nicolas Théry, sont concurrents. Qu’importe si ces deux entités appartiennent à la même confédération du Crédit Mutuel, présidé également par Nicolas Théry. « Le CMA dispose d’une autonomie au sein du Crédit Mutuel et se trouve donc en concurrence avec le groupe CM11-CIC », martèle l’autorité de la concurrence à plusieurs reprises.
Isabelle de Silva balaye non moins énergiquement un autre argument de la confédération. Selon cette dernière, l’ensemble du Crédit Mutuel est contrôlé sur une base consolidé par la BCE, ce qui prouve bien l’existence d’un « groupe unique », où la concurrence n’aurait pas de sens. En réalité, estime l’Autorité, un tel groupe n’empêche pas les « deux entités autonomes » principales, CM11-CIC et CMA, de se livrer à une véritable compétition interne. Au passage, l’Autorité en profite pour marquer qu’elle n’a aucune intention de voir le droit de la concurrence, qu’elle façonne, subordonnée aux décisions de la BCE…
Ce mémoire a toutes les raisons de ravir le Crédit Mutel Arkéa, basé à Brest. Jean-Pierre Denis dénonce avec virulence depuis plus de deux ans cette situation: sous couvert de groupe unique et donc de centralisation des données au sein de la confédération, le puissant CM11-CIC, implanté à Strasbourg, espionnerait les pratiques commerciales et les innovations de son concurrent breton, entravant son déploiement.
Avis contradictoires
Problème: avant la rédaction de ce mémoire, la même Autorité de la concurrence a publié le 21 décembre 2016 une décision non moins articulée, forte de 30 pages et 163 alinéas. Elle y répondait aux attaques du CMA, dénonçant un fonctionnement du Crédit Mutuel qui « aggrave un risque de collusion systématique, à l’occasion d’un partage d’informations entre groupes sur leurs activités concurrentes ». Dans sa réponse, l’autorité se montrait alors très prudente. Les deux fédérations n’étaient alors jugées que « potentiellement concurrentes », soit un cran en deçà du mémoire publié en janvier. Et de toute façon, l’Autorité se déclarait incompétente pour trancher sur ces problèmes d’organisation interne, renvoyant la balle dans le camp de la justice administrative.
Pour le coup, ce dégagement en touche avait parfaitement satisfait Nicolas Théry et ses équipes. D’autant que cette victoire de la confédération s’ajoutait à celle, engrangée quelques jours plus tôt, le 13 décembre, devant le conseil d’Etat. Son rapporteur public avait alors jugé « inopérante » les démonstrations du CMA sur ces dossiers de concurrence interne. S’estimant satisfaite, la confédération avait abandonné ses recours devant l’Autorité de la concurrence, visant à faire valoir ses arguments sur l’existence d’un « groupe unique ». Trop tard, le coup était tiré. Et c’est précisément pour répondre à ce recours de la confédération que l’Autorité de la concurrence a rédigé le mémoire du 3 janvier…
Ce méli-mélo survient alors que la tension ne redescend pas au sein du groupe mutualiste. La confédération a infligé un blâme le 11 janvier au CMA. Et le dossier promet de rythmer encore l’année 2017. Trois décisions devant la Cour d’appel de Paris et le Conseil d’Etat sont attendues. Sans compter les nouveaux recours et autres embuscades juridiques que pourraient initier les protagonistes de cette bataille épique.
Grégoire Pinson
Journaliste
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