La nouvelle réglementation européenne sur les paiements par carte bancaire, entrée en vigueur début juin, expose CB, le réseau domestique français, à la concurrence des géants internationaux Visa et MasterCard. Que change-t-elle pour le consommateur ?
Depuis le 9 juin dernier, les consommateurs européens ont le droit de choisir, à l’occasion d’un achat par carte bancaire, le réseau de paiement qui traitera leur transaction. En France, jusqu’ici, c’était le réseau national CB qui traitait, par défaut, ces paiements domestiques. Désormais, l’usager peut demander que son achat soit traité par Visa ou MasterCard, selon le type de carte qu’il possède. De même, un commerçant peut choisir de travailler avec ses réseaux internationaux, plutôt qu’avec le système national.
Voilà pour la théorie. Mais dans les faits, pour l’instant, rien ne change ou presque. « Le règlement européen laisse des échappatoires », constate Pierre de Brabois, associé paiements et banques au sein du cabinet de conseil Kurt Salmon. « La prise en compte du nouveau règlement va se faire progressivement, d’abord dans les grandes enseignes. D’ici un an, toutefois, il deviendra compliqué pour les commerçants et les banques de dire qu’ils n’ont rien fait ».
Comment pourrais-je choisir mon réseau de paiement ?
C’est encore la grande inconnue : comment, concrètement, le consommateur pourra choisir son réseau de paiement, depuis le terminal, au moment de l’achat ? Pour Pierre de Brabois, le scénario le plus probable à court terme est celui « qui modifie le moins l’expérience client telle qu’elle existe aujourd’hui » : en l’absence d’intervention de l’acheteur, le réseau par défaut serait celui choisi par le commerçant.
A plus long terme, les choses pourraient toutefois évoluer, sous l’impulsion des enseignes de la grande distribution. « Ces dernières ont de plus tendance à unifier l’expérience de paiement entre le web et le magasin », constate Pierre de Brabois. Dans le e-commerce, le choix du réseau de paiement est une réalité et déjà, les terminaux de paiement de certaines caisses libre-service en supermarchés répliquent cette expérience client grâce des écrans tactiles. Des interfaces qui pourraient petit à petit se généraliser.
Qu’est-ce qu’une carte bancaire « co-badgée » ?
Environ 95% des cartes bancaires émises en France sont « co-badgées », c’est-à-dire qu’elle sont reconnues par deux réseaux de paiement : le réseau domestique français CB, géré par un groupement d’intérêt économique (GIE) financé par le secteur bancaire français, et un réseau international, Visa ou MasterCard. Ces acteurs apposent ainsi chacun leur logo sur la carte bancaire.
Ce co-badging est une spécificité française et un vrai atout : les Français n’ont besoin que d’une seule carte bancaire, qui fonctionne partout. En France, c’est le réseau CB qui traite le paiement. A l’étranger, Visa ou MasterCard prennent le relais. Ce n’est pas le cas dans tous les pays. « En Belgique par exemple », explique Pierre de Brabois, « les usagers ont une carte de débit à autorisation systématique, généralement gratuite, pour les paiements domestiques. S’ils veulent payer à l’étranger, ils doivent en plus posséder une carte de crédit Visa ou MasterCard. »
La règlement européen ne remet pas en cause le co-badging. Au contraire même : ce qui jusqu’ici existait seulement en France va certainement se développer chez nos voisins. « La réglementation européenne demande aux banques de favoriser le co-badging, ce qui est positif », estime Pierre de Brabois.
Un commerçant pourra-t-il refuser ma carte bancaire ?
C’est peu probable, mais pas impossible. Théoriquement, le règlement autorise un commerçant à refuser un paiement effectué avec certaines cartes, si par exemple il considère que les frais générés par ce paiement sont trop importants.
Toutefois, ce cas de figure ne devrait concerner que les cartes « corporate » délivrées par des entreprises à leurs salariés, pour lesquelles les commissions de paiement ne sont pas plafonnées. Pour les cartes des particuliers par contre, le règlement plafonne les commissions à bas niveau : 0,20% du montant pour les cartes à débit immédiat et 0,30% pour les cartes à débit différé.
Le prix des cartes bancaires va-t-il baisser ?
L’objectif du règlement européen est d’améliorer les conditions de concurrence, et donc de faire baisser les prix du traitement des paiements par carte. Le consommateur final en profitera-t-il ? Rien n’est moins sûr, selon Pierre de Brabois, qui pencherait plutôt pour le scénario inverse : un renchérissement du coût de la carte bancaire pour l’usager.
« En France, les banques ont une double casquette », explique le spécialiste. « D’un côté, elles distribuent les cartes bancaires à leurs clients particuliers ; de l’autre, elles fournissent à leurs clients commerçants le service d’acceptation des paiements par carte ». Conséquence : si les revenus générés par cette seconde activité baissent, elles pourraient être tentées de se rattraper sur la première. « Les banques vont devoir montrer leurs vrais prix », annonce Pierre de Brabois, qui estime également que cette évolution est de nature à remettre en cause la gratuité de la carte bancaire dans les banques en ligne.
Le réseau CB risque-t-il de disparaître ?
Là encore, c’est aujourd’hui très difficile à dire. Une chose est certaine : le réseau CB perd son monopole sur les paiements domestiques en points de vente et se retrouve directement exposé à la concurrence des réseaux internationaux. Par rapport à Visa et MasterCard, les deux géants américains, la marque a clairement un déficit de notoriété et devra sans doute rendre son logo plus visible sur les cartes et investir plus dans le marketing.
Mais CB dispose aussi d’avantages. Celui de l’expérience client, d’abord. « Lorsqu’on paye en France avec une carte non-CB, la demande d’autorisation est systématique, alors qu’avec un carte CB, elle n’est nécessaire que de temps de temps », explique Pierre de Brabois. Et les Français supportent mal ce délai d’autorisation, qui laisse supposer que leur compte n’est pas suffisamment provisionné. Celui, décisif, du prix, ensuite. « Aujourd’hui, CB est moins cher que Visa ou MasterCard », explique Pierre de Brabois. Toutefois, dans l’industrie des paiement, les volumes traités ont un fort impact sur les prix. Si ceux de CB devaient baisser – son directeur général, Gilbert Arira, craint une baisse de 30% -, ses prix deviendraient mécaniquement moins attractifs, a fortiori s’il faut dans le même temps financer des campagnes de promotion de la marque.
Au final, tout dépendra sans doute du choix de la grande distribution : les grandes enseignes resteront-elles fidèles à CB, ou profiteront-elles du règlement européen pour lancer une guerre commerciale entre réseaux de paiement ? Dans ce second scénario, l’avenir de CB apparaitrait sans doute plus sombre.
Visa Europe officiellement absorbé par l’américain Visa Inc
C’est officiel depuis mardi 21 juin : Visa Europe est officiellement tombé dans le giron de l’américain Visa Inc. Les banques européennes, dont 3.000 étaient co-actionnaires de Visa Europe, vont récupérer dans la transaction 16,5 milliards d’euros dans un premier temps, et plus de 20 milliards à terme. Mais l’Europe perd aussi son principal réseau d’acceptation, ce qui laisse les réseaux nationaux du type CB seuls face aux deux géants américains MasterCard et Visa.
Lire aussi : Carte bancaire : pourquoi l’Europe a laissé Visa devenir américain
(1) Le Règlement relatif aux commissions d’interchange pour les opérations de paiement liées à une carte, adopté par le Parlement européen en 2015, est entrée en vigueur en deux vagues, en décembre 2015 et en juin 2016.
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