L’extravagant Monsieur Théry

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A tout juste cinquante ans, cet énarque atypique et audacieux vient d’être nommé à la présidence de la Confédération du Crédit Mutuel. Sur le bureau de cet homme de dialogue, un défi de taille : régler le conflit interne entre les fédérations de l’Ouest et de l’Est du groupe.

Ce matin de mars, Nicolas Théry, un gros sac à dos sur les épaules, s’apprête à prendre son train pour une tournée de quelques jours dans des caisses du Sud du Crédit Mutuel. Sa barbe de trois jours et son allure d’étudiant tranchent avec la mise traditionnelle du financier à la française, féru de boutons de manchette et de souliers rutilants. Inconnu du grand public et des médias, cet énarque de cinquante ans vient pourtant de pénétrer le cercle très fermé des puissants patrons de grandes banques françaises. Lundi, la Confédération du Crédit Mutuel, un groupe qui pèse plus de 3 milliards d’euros de bénéfices nets, l’a porté à sa présidence. « Nicolas est le meilleur de sa génération, lance l’ancien commissaire européen au Commerce, Pascal Lamy, qui prit en 2002 le jeune homme comme directeur de cabinet. Si on le voit au bistro du coin, on ne se doutera jamais qu’il est inspecteur des Finances, il appartient à une caste dont il n’a aucune des caractéristiques. Mais il en a le potentiel. »

Atypique, Nicolas Théry a, depuis sa sortie de l’ENA, multiplié les audaces et les pas de côté. Sa carrière commence sur les chapeaux de roue lorsqu’il rejoint, en 1997, le cabinet de DSK, alors ministre de l’Economie et des Finances, comme conseiller chargé des affaires bancaires. « Un des portefeuilles les plus sensibles, pour ne pas dire le plus important, glisse Bruno Mettling, aujourd’hui directeur général adjoint d’Orange, qui participa à l’aventure exceptionnelle de ce cabinet dirigé par François Villeroy de Galhau. Il était très jeune, très doué, il travaillait à la fois vite et bien. Fin négociateur, notamment sur le dossier du sauvetage du Crédit Lyonnais, il était aussi bon camarade, attentif, engagé. Pétri d’humilité dans un univers qui n’en est pas forcément bien pourvu. » Dans cet antre du pouvoir, les dossiers s’accumulent, le rythme est effréné. « Nous avons dû gérer la crise des entreprises publiques financières : le Crédit Lyonnais, Gan, la Marseillaise de crédit… Nous avons négocié avec Bruxelles, et Dominique Strauss-Kahn a réussi à remettre ces entreprises-là sur les rails », se souvient Nicolas Théry. Pendant ces années, naissent ses deux premiers enfants. Il obtient alors de François Villeroy de Galhau de bénéficier d’un temps partiel. Une extravagance dans ces camarillas, où les journées n’en finissent jamais. « Il croit à l’égalité homme-femme, il est très important pour lui de faire sa part, et il prend le temps de s’occuper de ses enfants », explique Odile Renaud-Basso, directrice générale adjointe de la Caisse des Dépôts, une proche qui le côtoie depuis leurs débuts au ministère des Finances.

Grand saut dans l’inconnu

« Le coeur de ma vie, c’est ma famille. Or la vie de cabinet est terriblement contraignante, justifie de son côté Nicolas Théry. Après, j’ai eu envie d’autre chose, une année sabbatique, une formation complémentaire, devenir instituteur… J’ai rencontré Nicole Notat et j’ai passé deux années très heureuses à la CFDT. Faire radicalement autre chose, sauter dans l’inconnu, c’était bienvenu… » Cette orientation de carrière sidère son entourage. « C’était un contre-pied absolu, qui résume parfaitement le personnage, sa liberté d’esprit. Je me dis aujourd’hui que c’était un choix très moderne pour l’époque », analyse Bruno Mettling. Un choix qui n’est pas sans risque, puisqu’il l’éloigne des ors de la République. « Les inspecteurs des Finances ont en tête un déroulement de carrière qui ne leur fait pas prendre des chemins de traverse. Ce qui était très intéressant chez Nicolas, c’est que son arrivée à la CFDT correspondait à un vrai choix », se souvient Nicole Notat. « Il a son cap, ses valeurs, sa propre capacité de raisonnement, son monde à lui. On ne lui fera pas faire ce qu’il ne veut pas faire », résume Pascal Lamy.
Singulier, Nicolas Théry l’est aussi lorsqu’il évoque sans fard un « bug de carrière », durant ses années bruxelloises. Après avoir dirigé le cabinet de Pascal Lamy, avec lequel il partage des idées de gauche et une carte à la CFDT, il décide de rester en Belgique et de travailler pour les services de la Commission. Trop Français, trop estampillé socialiste pour la nouvelle équipe Barroso, il est mis au placard. « La Commission est un milieu très clos, peu varié, regrette-t-il. Je n’y ai pas été très heureux, alors que je suis un Européen convaincu. »
Mais Nicolas Théry a finalement rebondi plus haut que bien des camarades restés dans le giron de la haute fonction publique parisienne, en rejoignant à Strasbourg un géant de la banque coopérative. « Ce n’est pas un hasard s’il est au Crédit Mutuel et pas à la Société Générale, note Odile Renaud-Basso. Le choix d’une banque mutualiste le motivait beaucoup. » En prenant la présidence du Crédit Mutuel, sept ans après y être entré, il devient aujourd’hui le plus jeune patron de banque français. Son tour de force : avoir été adoubé par le patron historique du groupe, Michel Lucas. A soixante-seize ans, le « vieux lion » n’était pas pressé de désigner son dauphin, lui qui, en octobre dernier, avait encore vu son mandat renouvelé à la tête de la Confédération pour une durée de cinq ans. Michel Lucas, breton – et strasbourgeois d’adoption -, peu porté sur les élites parisiennes et les corporations, a incontestablement apprécié la discrétion de Nicolas Théry et son profil non conventionnel. Major de l’ENA, certes, mais grandi à Armentières, cité « de la bière et de la toile ». « Une personnalité très simple, très calme, qui ne cherche pas du tout à être visible », souligne Odile Renaud-Basso. Des qualités qui lui ont à l’évidence permis de se fondre dans la culture du Crédit Mutuel, une maison secrète, fermée, organisée en communauté, loin des regards extérieurs. Y faire son trou n’a toutefois pas été « un lit de roses », souligne un connaisseur du groupe. « Cet univers mutualiste est très politique. Je n’aurais pas été surpris qu’à un moment, Nicolas Théry abandonne. » Mais il reste, séduit par le maître des lieux en dépit de son tempérament autoritaire. « Michel Lucas est un homme d’une originalité formidable. J’ai une admiration sans borne pour ce qu’il a créé : à son arrivée à la Fédération d’Alsace-Lorraine, il n’y avait que 450 collaborateurs. En quarante-cinq ans, sans un sou de capital extérieur, il en a fait une entreprise de 75.000 personnes », rappelle Nicolas Théry. Avant d’ajouter : « Il se donne des airs qui ne correspondent pas à ce qu’il est. C’est quelqu’un de très subtil, et de très ouvert au dialogue. »

Guerre picrocholine

Désormais à la tête du Crédit Mutuel, le nouveau président va devoir forcer sa nature et accepter de prendre la lumière. Mais son plus grand défi sera de régler le conflit interne qui mine depuis près de deux ans le groupe, et dont il hérite à présent. Une guerre picrocholine oppose en effet les fédérations « de l’Ouest » du Crédit Mutuel Arkéa (Bretagne, Sud-Ouest et Massif Central) à celles agrégées autour de la puissante Fédération de Strasbourg, sous la bannière CM11-CIC. Arkéa réclame la scission car, aux yeux de ses dirigeants, deux groupes coexistent sous la marque du Crédit Mutuel, à la fois « autonomes » et « concurrents sur l’ensemble de leurs métiers ». Lundi, au cours de l’assemblée générale qui a porté Nicolas Théry au pouvoir, Arkéa a voté contre la réforme des statuts du groupe. Et son président, Jean-Pierre Denis, s’est dit « dans l’obligation de la contester devant les juridictions ». Les deux hommes se connaissent bien, tous deux sont issus de l’inspection des Finances. Et longtemps, ils se sont bien entendus. Mais Nicolas Théry devra soulever des montagnes pour parvenir à rassembler le groupe. Il aura pour lui la bienveillance des pouvoirs publics. « L’arrivée de Nicolas Théry est la bienvenue, confie aux « Echos » le ministre des Finances, Michel Sapin. Le mutualisme a comme grande qualité la recherche du consensus et la proximité avec les territoires ; mais il a besoin aussi de dynamisme, de perspective et de s’inscrire dans un cadre européen. Et c’est ce qu’incarne Nicolas Théry. » Pris en tenaille entre Michel Lucas et Jean-Pierre Denis depuis deux ans, sous la pression des élus régionaux, le ministre a prudemment gardé ses distances sur ce dossier. « La position de l’Etat dans ce conflit est particulière, car il s’agit d’un débat entre entreprises privées, et il faut le respecter, note Michel Sapin. Toutefois, on sait que dès lors qu’il s’agit du secteur bancaire, il est aussi question d’intérêt général. La solidité de l’ensemble est de la responsabilité publique. Nous devons donc faire en sorte que les débats internes ne fragilisent pas cette institution financière. Cela oblige à être présent – sans l’être trop. » Nicolas Théry sera-t-il l’homme providentiel ? A Bercy, on veut le croire. « Au coeur des difficultés actuelles au sein du groupe Crédit Mutuel, il y a des difficultés à échanger, à s’écouter. Comme Nicolas Théry est un homme d’écoute, j’attends beaucoup de cette capacité de dialogue, afin que chacun essaie de comprendre l’autre. Il faut trouver une solution constructive, qui renforce le groupe », affirme Michel Sapin, dans ce qui ressemble fort à une feuille de route.

Véronique Chocron, Les Echos

Ses dates clefs
1965 Naissance à Lille.
1989 ENA (promotion Liberté, Egalité, Fraternité), Inspection des finances.
1997 Conseiller pour les affaires financières au cabinet de DSK (ministre de l’Economie et des Finances).
2000 Directeur de cabinet de Florence Parly (secrétaire d’Etat au Budget).
2000-2002 Secrétaire confédéral pour les questions économiques à la CFDT.
2002-2004 Directeur de cabinet de Pascal Lamy (commissaire européen pour le Commerce international).
2009 Rejoint le groupe Crédit Mutuel-CIC.
Mars 2016 Président de la Confédération du Crédit Mutuel.