Les commissions des Finances et des Affaires économiques du Sénat ont procédé, mercredi 9 mars, à une audition sur les évolutions de la banque de détail en France. La rentabilité de cette activité est mise à mal par la faiblesse des taux, la réglementation et la révolution numérique.
La banque de détail n’est plus ce qu’elle était. Ce métier, qui consiste à collecter des dépôts et à octroyer des crédits aux ménages et aux entreprises, a longtemps fait figure de « vache à lait » du secteur bancaire. Et ce, grâce à des résultats autrement plus solides et réguliers que ceux des activités de marché, aux performances volatiles. Ces dernières sont en outre celles qui ont été les plus affectées par le coût des nouvelles réglementations décidées dans le sillage de la crise financière de 2008. Mais la banque de détail entre à son tour dans une zone de turbulences. D’abord à cause des taux d’intérêt historiquement bas, qui mettent sous pression les marges d’intermédiation, composantes principales des revenus de la banque de détail. En effet, cette dernière a pour vocation de collecter des dépôts, afin de les transformer en prêts. Or une grande partie des ressources collectées par les banques sont de l’épargne réglementée, dont la rémunération n’a pas subi la même tendance à la baisse que le rendement des crédits. Les banques de détail se trouvent donc prises en étau, entre, d’un côté, des crédits qui leur rapportent de moins en moins, et, de l’autre, des ressources dont le coût demeure relativement élevé.
Une quasi généralisation des frais de tenue de compte
Ensuite, la réglementation n’a pas non plus épargné la banque de détail, ces dernières années. En témoigne, par exemple, le plafonnement des commissions d’intervention, facturées en cas d’incident de paiement. « Les réglementations limitent la possibilité de faire payer les services à leur juste prix, dans la banque de proximité », a estimé Jean-Yves Forel, directeur général en charge de la banque commerciale et de l’assurance au sein du groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d’Epargne), lors d’une audition sur les évolutions de la banque de détail, menée par les commissions des Finances et des Affaires économiques du Sénat, mercredi 9 mars. Un point de vue que ne partage pas Mathieu Escot, responsable du département des études, au sein de l’association de consommateurs UFC-Que choisir : « La représentation nationale peut être fière des nouvelles réglementations prises en matière de tarifs bancaires. De plus, les banques ne manquent pas d’imagination, puisqu’elles tentent de compenser le plafonnement de certaines commissions par le renchérissement d’autres services, comme le prouve la quasi-généralisation des frais de tenue de compte. »
La fréquentation des agences baisse de 5% à 6% par an
Enfin, la banque de détail subit de plein fouet la révolution numérique, qui se traduit par un appétit croissant des clients pour les services bancaires à distance et par l’émergence d’une nouvelle concurrence. « Le canal Internet s’est beaucoup développé et, en 2016, c’est le mobile qui deviendra le canal d’interaction préféré des Français avec leur banque », a prévenu Sébastien Declercq, associé au sein du cabinet de conseil en stratégie AT Kearney, mercredi 9 mars, dans le cadre de cette même audition au Palais du Luxembourg. Résultat des courses, la fréquentation des agences bancaires diminue de 5% à 6% par an, en France, selon AT Kearney. Une aubaine pour les banques directes (en ligne ou mobile). Celles-ci « détiennent 7% à 8% des stocks de clients, mais, si l’on considère les flux, leur part de marché est bien plus importante, un compte bancaire sur trois s’ouvrant désormais dans une banque en ligne, en France », a témoigné Marie Cheval, directrice générale de Boursorama, la filiale de banque à distance de la Société générale, devant les sénateurs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Orange projette de lancer une banque mobile dans l’Hexagone, l’an prochain. Et le potentiel de business lié à la transformation digitale de la banque de détail attire bien d’autres acteurs, à commencer par les fintech, en attendant la véritable offensive des géants du Web tels que Google et Amazon.
25 milliards d’euros de bénéfices en 2015 pour les cinq premières banques françaises
Conséquence de toutes ces mutations, les revenus des banques de détail en France n’augmentent plus que de 0,9%, en moyenne, depuis cinq ans, selon AT Kearney. La progression de leurs charges étant supérieure, il en résulte une dégradation de leur rentabilité opérationnelle, avec un coefficient d’exploitation (charges sur revenus) de 65% en 2015, qui place les banques françaises « parmi les plus mauvais élèves d’Europe, alors que les meilleurs sont les banques britanniques et celles des pays nordiques, qui affichent des coefficients d’exploitation compris entre 50% et 55% », souligne Sébastien Declercq. « 6,7 milliards d’euros de bénéfice net pour BNP Paribas en 2015, 4 milliards pour la Société générale… Le pincement des marges opérationnelles des banques n’est pas aussi douloureux que vous l’affirmez ! », a raillé l’un des sénateurs. De fait, avec près de 25 milliards d’euros de bénéfices cumulés l’an dernier, selon les chiffres d’Antoine Saintoyant, de la direction générale du Trésor, les banques françaises ne sont pas loin d’avoir retrouvé leurs niveaux d’avant la crise financière.
L’emploi dans les réseaux bancaires pose question
Oui mais, « une partie importante de ces bénéfices doit être utilisée pour renforcer les fonds propres des banques, conformément aux nouvelles exigences réglementaires », nuance Antoine Saintoyant, qui rappelle que la BCE elle-même juge préoccupante la dégradation de la rentabilité des banques européennes, dont elle est le superviseur unique depuis novembre 2014. Il n’y pas 36 solutions, les banques de détail « vont devoir adapter leurs modèles opérationnels, économiques et financiers », décrète Sébastien Declercq. En la matière, les banques d’Europe du Nord ont un train d’avance. Au cours des cinq dernières années, les banques britanniques ont réduit le nombre de leurs agences de 20%, une baisse qui s’élève à 35% dans les pays scandinaves, d’après AT Kearney. Certes, les marchés bancaires de ces pays sont très différents du marché français mais, même en Allemagne, un pays plus comparable, le nombre d’agences bancaires a diminué de 5% au cours des cinq dernières années, alors qu’il est resté stable en France. Plus pour longtemps chez certains acteurs, la Société générale entendant réduire son réseau de 20% d’ici à 2020, et BNP Paribas ayant déjà fermé 191 agences en trois ans. Des initiatives qui, comme l’a souligné un sénateur, soulèvent bien évidemment la question de l’emploi, même si les banques se veulent rassurantes sur ce point. Au Royaume-Uni et dans les pays nordiques, le redimensionnement des réseaux d’agences a engendré des baisses d’effectifs comprises entre 5% et 10%, au cours des cinq dernières années, précise AT Kearney.