Le bal des négociations annuelles obligatoires (NAO) s’est ouvert sur des PV de désaccord et une grève suivie chez BNP Paribas. Le pouvoir d’achat cristallise les mécontentements.
Mardi 4 décembre : jour de grève à BNP Paribas. Un bon moment que la banque n’en avait pas connu. Le mouvement social, à l’appel de cinq organisations syndicales (SNB-CFE-CGC, CFDT, CGT, FO et CFTC), s’est invité dans l’agenda des négociations concernant la gestion active de l’emploi et des compétences, à la date prévue pour la 2e réunion « GPEC ».
L’occasion d’exprimer un mécontentement croissant à l’égard de la dégradation des conditions de travail – mais aussi du pouvoir d’achat des salariés. Si la direction observe que « la quasi-totalité des agences du réseau sont restées ouvertes », le mouvement aurait été, au dire de la CFDT, assez bien suivi, notamment en province, Paris n’ayant plutôt connu que des débrayages d’une heure ou deux. Selon un communiqué intersyndical (hors CFDT), il aurait concerné près d’un salarié sur deux.
Il faut dire que la NAO qui s’est achevée début novembre chez BNP Paribas SA (fonctions supports, banque de détail et BNP Paribas CIB en France) a fait monter la moutarde au nez des syndicats. Faute d’accord, la direction appliquera unilatéralement ses propositions pour 2019. Casus belli pour les partenaires sociaux, les troupes se passeront d’augmentation collective pérenne quand, l’an dernier, l’entreprise avait consenti 0,6 % avec un plancher à 250 euros. Seules des augmentations individuelles (AI), hors NAO, seront octroyées à hauteur de 1,5 % de la masse salariale (qui représente 1,9 milliard d’euros, hors bonus).
Supplément d’intéressement
Les quelque 40.000 salariés bénéficieront toutefois d’un supplément d’intéressement, qui, en l’absence d’accord technique, ne sera pas distribué de manière égalitaire (500 euros comme proposé initialement), mais en fonction du salaire selon l’accord d’intéressement en vigueur. Soit un montant brut compris entre 405 euros et 1.069 euros. L’abondement exceptionnel un temps envisagé de 100 euros pour 50 euros versés sur le PEE a dû également être remisé, le budget demeurant « disponible pour des négociations futures », précise la banque. Qui consacrera, en revanche, 5 millions d’euros à l’égalité professionnelle, deux fois plus que pour la NAO 2018 !
« On nous dit qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses. Le problème, c’est que les résultats financiers du troisième trimestre indiquent un résultat net de 2,1 milliards d’euros (en hausse de 4 % par rapport au troisième trimestre 2017, NDLR), ironise François Besnard, délégué syndical national CGT de BNP Paribas, pour qui la coupe est pleine. Il y a cette NAO de misère, la charge de travail, l’absentéisme, le sous-effectif chronique… Ça craque de partout ! »
De son côté, la direction rappelle que les augmentations générales ne sont pas systématiques (il y en a eu trois sur les six dernières années). Mais soucieuse de « maintenir un dialogue constructif » et sans doute pressée de déminer le terrain, l’entreprise a rapidement fait savoir qu’elle organiserait, après la grève, une réunion avec ses partenaires sociaux « pour étudier leurs revendications et trouver des solutions dans le cadre d’un dialogue social constructif ». La date du 12 décembre a été retenue.
Désaccord aussi sur les NAO chez LCL, où la direction est restée sourde aux revendications des syndicats. Comme l’an dernier, 10 millions d’euros seront alloués à des mesures salariales individuelles, de plus en plus ciblées. « Un tiers des 18.500 collaborateurs auront droit à une augmentation de salaire, avec un minimum de 700 euros brut par an, contre 600 euros actuellement. Et c’est tout », souligne FO, qui réclamait « des mesures générales pour tenir compte de l’inflation et redonner du pouvoir d’achat aux salariés. La dernière date de 2014, alors que nous affichons de bons résultats. » Pour le syndicat, la crise qu’a connue le Crédit Lyonnais dans les années 1990 continue en outre de peser sur les salariés : « Nous avons des grilles de salaires plus basses qu’ailleurs. Les nouveaux embauchés s’en rendent vite compte et, ces dernières années, nous avons énormément de démissions sur certains métiers très recherchés : conseillers privés, conseillers professionnels, directeurs d’agence… La direction a d’abord considéré qu’il fallait mettre le paquet sur eux pour les retenir – sans grand succès –, avant de modérer ses efforts. Mais tout cela crée des tensions au regard des profils ‘moins monnayables’. »
La NAO qui vient de s’achever à la Société Générale a également laissé les partenaires sociaux sur leur faim. Au menu : 1 % d’augmentation pour salaires inférieurs à 31.000 euros brut par an, avec un plancher à 250 euros. Mesure dont devraient tout de même bénéficier, selon Monique Motsch, déléguée syndicale nationale CFDT, 6.700 salariés sur quelque 44.000 dans l’Hexagone. Par ailleurs, 7 millions d’euros sur trois ans seront consacrés à la correction des écarts salariaux hommes-femmes. Surtout, la banque, qui n’octroiera pas d’augmentation collective pour la 8e année consécutive, mais un possible supplément d’intéressement de 1.000 euros, entend réduire de 20 % à 25 % les indemnités de fin de carrière (plus avantageuses que celles de la branche) et les primes des médailles du travail.
D’ici à 2020, 700 salariés sont potentiellement concernés par le coup de rabot sur les indemnités de départ à la retraite, et 3.000 de plus jusqu’en 2024, calcule Monique Motsch. « On touche là à un symbole fort : les salariés qui auront consacré toute leur carrière à la banque ne seront pas rémunérés à la hauteur de leurs attentes. En ces temps difficiles, c’est inenvisageable ! » Marc Durand, secrétaire section nationale FO de la Société Générale, y voit, lui, « un manque total de respect pour tous les salariés qui, par leur implication et leur professionnalisme, contribuent aux milliards de bénéfices de la Société Générale » (le résultat net est de 3,7 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de 2018, NDLR). Les syndicats avaient jusqu’au 7 décembre pour se positionner sur ces mesures, qui font l’objet d’accords séparés. Mais pour Philippe Fournil, délégué syndical national CGT, le fait le plus saillant actuellement est « la démobilisation des équipes. Les taux de démission et de turnover hallucinants devraient inquiéter les dirigeants ! »
Dans la foulée, CGT et CFDT ont tous deux lancé une pétition pour le maintien des avantages sociaux (plus de 3.000 signataires en date du 7 décembre). Et appellent à la grève le 14 décembre. Alors que retenir de ce début de campagne ? « Rien ! se désole Mireille Herriberry, responsable FO banques et sociétés financières. Depuis quelques années, nous avons le sentiment d’être des miséreux. Les banques nous disent qu’elles n’ont pas les moyens d’accompagner leurs salariés, si ce n’est par des mesures individuelles liées à la performance. Sur les profils très demandés par la concurrence, elles n’agissent qu’en mode défensif, à court terme. Leur seule stratégie est de privilégier l’actionnaire et ce que leur impose la législation, d’où un regain d’intérêt pour l’égalité hommes-femmes. »
La loi « Avenir professionnel » adoptée cet été oblige en effet les employeurs à supprimer les écarts de salaire inexpliqués (lire l’encadré). Mais certains craignent que la réduction des inégalités n’obèrent les NAO. « Ce n’est pas aux salariés eux-mêmes de payer ce rattrapage salarial », considère Régis dos Santos, président national du SNB/CFE-CGC, qui anticipe un autre problème. « Il est possible que des salariées augmentées au titre de l’égalité ne bénéficient plus, les années suivantes, de vraies augmentations salariales. »
Une chose est sûre : les DRH et compensation & benefits managers marchent sur des œufs. « Avec l’évolution des prélèvements sociaux, le prélèvement à la source, la loi Pacte…, la situation est peu lisible », convient Franck Chéron, associé conseil capital humain chez Deloitte. Le contexte social tricolore, explosif, vient encore pimenter l’exercice.
Si les premières NAO laissent un goût amer aux syndicats, le cabinet, qui pronostiquait fin août environ 2 % d’augmentation tous secteurs confondus sur la base des informations communiquées par les entreprises, demeure optimiste. « Notamment pour le secteur banque-assurance, dont les budgets pourraient atteindre entre 2,3 % et 2,5 %, voire plus, sous les effets conjugués de l’inflation et d’une pénurie de ressources, notamment sur les profils digitaux. Mais avec des augmentations générales sans doute contenues… » Affaire à suivre.
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